Ce que je voterai (peut-être) au referendum (14)

Mais au fait, qui est -je ?
mardi 10 mai 2005.
 

Allez, on va lui tordre le cou, à cet insupportable suspense. J’ai choisi. Enfin. Mais auparavant, encore un instant, Monsieur le lecteur. Il faut que je vous précise qui vous parle. Celui qui vous parle ici, depuis deux mois, ce n’est pas le type de la télé, ni l’auteur des chroniques de Libé.

C’est le citoyen. Le camarade de chambrée de Judith et de David. Celui qui parfois hésite jusque dans l’isoloir. Ce n’est pas Schneidermann. C’est Daniel. C’est le principe du Blog.

Donc, le citoyen, pour les raisons expliquées dans l’étape précédente, parce que dans ses priorités il place la poursuite de la construction européenne au-dessus de toutes les autres, va sans doute voter oui. Sauf si, comme à sa déplorable habitude, il change d’avis au dernier moment dans l’isoloir. Dans ce cas, soyez certain qu’il vous le dira.

Mais je ne suis pas homme politique, ni avocat. Je ne vais pas monter sur le toit, prendre un mégaphone, et crier : "j’ai tout compris, votez comme ci, ou votez comme ça". Ce n’est pas mon métier. Je vous révèle ce futur secret d’isoloir, ici, parce que c’est la règle du jeu implicite entre nous depuis le début. Mais je ne suis pas du tout certain d’avoir raison. Le vote est individuel. D’ailleurs, vous avez vu ce "peut-être", dans le titre, là-haut, entre parenthèses. C’est un truc. Un truc pour éviter les reprises sauvages (pour ceux que ça intéresserait) du genre : Schneidermann va voter oui. Il jette le masque, enfin ! On vous l’avait bien dit ! On le savait depuis le début ! Daniel va "peut-être" voter oui, c’est beaucoup moins sexy. Un peu pétard mouillé, j’admets. Tout ça pour ça ? Oui. Mais au moins, je suis tranquille.

Mon confrère Bernard Langlois, qui nous a fait l’honneur d’une visite, m’a traité de membre du "clergé médiatique". Bon. C’est la première fois qu’on me traite de curé. On m’a traité de procureur, de juge d’instruction, de boeuf-carottes, mais jamais encore de curé. Je ne sais pas très bien ce que ça veut dire. A partir de quand entre-t-on dans les ordres médiatiques ? Quand on publie son premier article ? Quand on reçoit sa première carte de presse ? Quand on devient chroniqueur dans un journal ? Mais à l’époque où je rédigeais la chronique télé du Monde, personne ne me traitait de membre du "clergé médiatique". Et encore aujourd’hui, à Libé comme à la télé, j’ai plutôt l’impression de jouer l’hérétique de service. Il suffirait donc que je laisse entrevoir que je pourrais voter oui, pour être affublé fissa de la soutane d’honneur des Noniens ? Ce serait ça la définition ? Les membres du clergé médiatique seraient les journalistes qui votent oui ? Le oui ne serait pas une opinion, une préférence, mais une croyance, une sorte de dogme, comme l’Immaculée Conception ? Seul le non serait une opinion ? OK. Passons.

Revenons au camarade de chambrée. Il a tenté sur ce Blog une expérience de réflexion collective, il a tout lu, il a validé une par une toutes vos contributions (enfin pas toutes, le succès a été tel que j’ai été obligé, passée la centaine, de faire du tri, par égard pour les lecteurs, et de ne retenir que celles qui faisaient avancer le débat, et restaient relativement dans le sujet. Que les autres me pardonnent). A l’issue de cette entreprise prométhéenne, je conclus...que le texte de la Constitution par lui-même ne me permet pas de conclure. A la fois parce que ce texte inclut des éléments qui me poussent au Oui, et d’autres qui me poussent au Non. Et aussi parce que certains éléments sont rigoureusement incompréhensibles, ambigus, indéchiffrables. Donc le citoyen, le pauvre citoyen, il va voter en fonction de critères dont il n’est pas particulièrement fier : ses priorités à lui, ses préjugés, son instinct.

Puis-je appeler celà ma "petite voix" ? Judith et David, le même jour (se sont-ils concertés ? Je n’ose l’imaginer. Mais je vais mener l’enquête dans le chalet à la nuit venue, je vais aller visionner les images de video-surveillance) ont appelé celà ainsi, leur petite voix. Bizarre coïncidence. Mais je n’ai pas envie de m’en moquer. Judith Alice Sarah, je n’ai pas envie de l’appeler Jeanne, par dessus le marché, avec retour à la case Domrémy. Quand on a la chance d’entendre une petite voix vous parler aussi nettement, le moins qu’on puisse faire est de l’écouter. D’ailleurs elles ne vous laissent pas le choix, les petites voix.

Mais attention : cette décision, probable, de Schneidermann, Daniel, Raphël, Léon, a voté, n’a rien à voir avec le travail du journaliste éponyme. Le journaliste, lui, son travail consiste à porter un regard critique sur les medias. Et si les grands medias du pays, aujourd’hui, sont scandaleusement partiaux et engagés en faveur du oui, s’ils donnent deux fois plus la parole aux partisans du oui qu’à ceux du non, si les journalouistes interrogent les Ouistes avec du miel dans la bouche, et les Noniens avec du fiel, le journaliste continuera à le dire dans ses chroniques, et à le montrer dans ses émissions. Celà n’a rien à voir. D’ailleurs une confidence (encore une) : celà m’amuse plutôt d’être du côté des Noniens au pays (plutôt Ouiste) des medias installés, et de me révéler Ouiste ici, dans les profondeurs noniennes. Pour tout dire, j’aime mieux celà que l’inverse.

De toutes manières, il n’y a même pas de conflit interne. Elle est très paisible, la cohabitation entre Daniel et Schneidermann. Le journaliste fait son boulot, le citoyen votera ce qu’il veut.

Parfois ils se parlent, tous deux. Le journaliste, goguenard, à l’électeur : "dis-donc tes Ouistes, là, ils en ont encore sorti une bonne. Tu as vu la dernière émission d’Ockrent ? Tu es sûr que tu vas vraiment voter oui ?" Le citoyen : "tu sais très bien que si je vote oui, je ne voterai pas avec les Ouistes, mais plutôt malgré eux. Je voterai oui, parce que je pense que c’est la meilleure solution." Voilà, ils se parlent, et ensuite tout va bien. D’ailleurs, je ne comprends pas bien pourquoi tous mes confrères, en ce moment, ne parviennent pas mieux à dégager leur travail de leurs opinions. Ce n’est même pas qu’ils n’y parviennent pas, mais on dirait qu’ils ne l’imaginent même pas. Christine Ockrent, par exemple. Elle a parfaitement le droit de voter oui. Mais pourquoi n’est-elle pas capable, quand la caméra tourne, de redevenir journaliste, et d’interroger aussi sévèrement les Ouistes que les Noniens ?

Certains, d’ailleurs, ne le font pas exprès. Prenons Benoit Duquesne, le présentateur du 13 Heures de France 2. L’autre semaine, il commentait ainsi un nouveau sondage : "mauvais sondages pour l’Europe, le non est en tête". Mauvais sondages pour l’Europe. Nous avons repassé l’extrait dans Arrêt sur images, vous l’avez peut-être vu. Avant l’émission, d’ailleurs, Christelle Ploquin l’a appelé, pour lui demander si cette formule était un dérapage. Eh bien pas du tout. Il ne voyait pas le problème. Juste un raccourci. Pour lui, un bon sondage pour l’Europe, c’est oui. Un mauvais, c’est non. Benoit Duquesne est un bon journaliste (à mon avis), ce n’est pas la question. Simplement, il ne sépare pas Benoit de Duquesne.

Prenons encore Thomas Hugues, de TF1, qui "remercie" Simone Veil de faire campagne pour le oui (avant Arrêt sur images, personne ne l’avait relevé). Ses chefs ne lui disent rien, après le plateau ? La chaine qui rend les cerveaux disponibles pour la pub a-t-elle oublié que les cerveaux des Noniens qui regardent TF1 risquent de sursauter en entendant celà, et d’avaler les pubs de travers ? Bien sûr moi aussi, dans l’article précédent, j’ai remercié les vieilles charrues, dont Simone Veil, d’avoir (même involontairement) éclairé ma décision. Mais c’est l’électeur qui parlait, là encore. Ou le citoyen. Ou le blogueur. Appelez-le comme vous voudrez. Jamais le présentateur d’Arrêt sur images n’aurait, comme Thomas Hugues, remercié un invité. Mais j’arrête de prendre ces exemples. Je me rends compte que je redeviens Schneidermann. Allez le journaliste, tais-toi. Pour une fois, laisse un peu parler le bonhomme.

Donc voilà. Je sais bien que je ne dissiperai pas tous les malentendus. Mais je voulais simplement vous rapppeler qui est qui. Ce que vote Schneidermann, allez donc tenter de le déduire de ses émissions et de ses chroniques. Et bonne chance ! Ce que Daniel va voter, je viens de vous le dire. Enfin, voter. Sauf retournement, bien entendu !


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