Bon, je ne sais toujours pas quoi voter au referendum ! (8)

Où notre explorateur réalise qu’Internet le pousse vers le non
mardi 5 avril 2005.
 

Vous avez remarqué ?

Vous avez remarqué comme depuis le début de cet appel au secours, le paysage a changé ?

Plus précisément, c’est l’évidence qui a changé.

J’ai commencé ce voyage environné par une évidence du oui. Le oui était partout. Le oui allait gagner, comme toujours aux referenda (comme dit Barroso). Moi, je me cherchais surtout des raisons de ne pas voter oui aveuglément.

Je me souviens même avoir ricané devant le premier sondage donnant le non vainqueur.

L’irruption du non fait aujourd’hui craquer cette évidence du oui. Quatre (ou six, je ne sais plus) sondages de suite donnent le non largement vainqueur. Avec mon sens de la contradiction, ce que je vais chercher maintenant, ce sont de bonnes raisons de ne pas voter non.

Mais si je baigne dans la tentation du non, ce n’est pas seulement à cause des sondages. Depuis la création de ce Blog, je fréquente beaucoup Internet. Et j’ai l’impression qu’une fréquentation assidue de l’Internet pousse plutôt au non.

Internet est-il nonien ? Plus exactement, Internet est-il nonigène ?

Ce ne serait pas la première fois qu’un media nouveau produirait lui-même des idées, au lieu de se contenter de les transmettre.

Je pense d’abord à la découverte de l’imprimerie.

Sans Gutenberg, et l’étude directe des textes sacrés que permet désormais l’imprimerie par dessus la tête des théologiens, des cardinaux, du pape, et du camerlingue (quel joli nom, camerlingue. Je n’en finis pas de le guetter au 20 Heures. Quel dommage qu’un aussi joli nom n’apparaisse dans les 20 Heures qu’à chaque mort de pape), pas de Luther, pas de Calvin. Mais aussi, pas de Saint Barthélémy. Je pourrais citer bien d’autres exemples, mais c’est celui-ci qui me parait le plus pertinent. Les medias changent le monde. J’ai lu ça quelque part.

Internet va-t-il faire craquer le Dogme de la Construction Européenne, comme l’imprimerie fit craquer la Sainte Eglise ?

Internet, c’est un fait, pousse à la discussion argumentée. A l’étude approfondie des articles, car d’abord, on a le temps de lire. Et ensuite, on a des lieux et des interlocuteurs pour débattre. Internet incite donc à la casuistique. Au débat pied à pied, au débat interminable que rien ne vient limiter, ni le temps, ni l’espace, ni les préjugés sur les interlocuteurs qui en général s’abritent derrière des pseudos plus impénétrables les uns que les autres, ni aucune sorte d’autocensure. Ma maman ne me lira pas, mon patron ne me lira pas, mon voisin ne me lira pas, ma femme n’en saura rien : je me lâche.

Dans ces débats, Internet dépouille l’argumentation de tout habillage d’autorité. Peu importe qui parle, seules comptent la sincérité, la construction, la rigueur, la documentation, l’originalité des textes. Dans le cas des débatteurs sous pseudo, ça va sans dire. Mais c’est même valable pour les autres. Par exemple, grâce à un de vos messages, je viens de lire le texte de M. Chouard, professeur de droit à Marseille. Je ne connaissais pas M. Chouard cinq minutes plus tôt. Je ne sais même pas s’il existe vraiment un Etienne Chouard, prof de droit à Marseille. M. Chouard, avant de parvenir jusqu’à moi, n’est passé par aucun des processus traditionnels de légitimation ou d’authentification (publication de livres, tribunes libres dans les journaux, apparitions télévisées). Pourtant son texte m’a souvent touché. Des arguments élémentaires, sincères, de bon sens. Ainsi quand M. Chouard dit benoîtement : "moi, quand je ne comprends pas, je ne signe pas", ce n’est pas un argument de prof de droit. C’est un argument de type de bon sens qui ne veut pas se faire refiler un contrat d’assurance-vie. Sans doute, si M. Chouard avait écrit dans Le Monde ou dans Libé, aurait-il barré cet argument-là, il aurait trouvé que ça ne faisait pas très sérieux pour un prof de droit. Mais moi, après tous les arguments juridiques -apparemment solides- de M. Chouard-prof sur la disparition de la séparation des pouvoirs, ce sont peut-être ces quelques mots de M. Chouard-client d’un démarcheur abusif qui m’ont touché.

Donc, je vous parlais d’Internet. Sans m’avoir lu d’ailleurs (à moins qu’il m’ait lu dans Libé, où j’amorçais un peu la même idée), Etienne Chouard semble rejoindre mes intuitions sur le caractère intrinsèquement nonigène d’Internet.

Car l’étude pied à pied des textes, et la pratique de la discussion, entraînent plutôt le nageur vers le non. Il est certain qu’il ne gagne pas à être regardé de près, le fruit des entrailles de la bureaucratie communautaire. Contradictoires, parfois hypocrites, fuyants : les textes accouchés d’un compromis sont rarement exaltants. Et surtout, ils sont compliqués. Compliqués comme un compromis. Compliqués jusqu’à l’incompréhensible. Avant Internet, qui, dans les medias traditionnels, aurait pu simplement prononcer cette phrase : "ce texte est compliqué. Je n’y comprends rien. Et quand je ne comprends pas, je ne signe pas" ?

Donc, Internet permet de voir celà, et permet de le dire. Mais quel est l’intérêt de débattre, si c’est pour approuver le texte "tombé d’en haut" ? Débattre, c’est d’abord réfuter. Débattre, c’est d’abord dire "non, je ne suis pas d’accord avec toi", avant toute contre-argumentation. Même si ouistes et noniens s’y affrontent apparemment à armes égales, Internet pousse à dire "non". Non, et toutes ses variantes : tu ne me la feras pas, va te faire voir, je crache à la gueule de tous ceux qui, etc. Les Blogs, les forums, les listes, créent mécaniquement un bouillon de culture nonien, auteurs et lecteurs mêlés (désolé Elizabeth, Internet pousse à cet effroyable mélange).

Ce qui pousse au oui est d’ailleurs plutôt extérieur à l’esprit internaute. La confiance, par exemple. La confiance dans le clergé politico-médiatique d’aujourd’hui, les visages familiers de nos camerlingues quotidiens, leur présence à nos côtés, voix du matin, visages du soir, leur sollicitude face à nos ennuis, leur compassion devant les embouteillages du matin ("alors dîtes-moi Christian Magdeleine, cet accident sur le périphérique, c’est dégagé, maintenant ?"), les meteos maussades de la semaine, ou le sort des "plus démunis", leurs certitudes rassurantes. Et leur touchant désir de pédagogie. Ah, ils n’en ont pas fait assez, de pédagogie. Ils vont se rettraper, maintenant, et mettre les bouchées doubles.

Mais bon, ce clergé est mal en point. Ses bulles, ses encycliques, ses conciles, se perdent dans les sables. Et puis je ne sais pas pour vous, mais pour moi l’épisode Barroso a sérieusement entamé le peu de confiance que je pouvais avoir.

L’internaute, lui, n’est pas confiant. Son cerveau n’est pas disponible. L’internaute voit des complots et des mensonges partout. L’internaute se promène de lien en lien, de site en site, et compare, compare sans fin avant d’acheter.

Il y a des contre-exemples, à cette belle règle. Ici même, sur ce Blog, quelques efficaces ouistes se battent fort bien avec un acharnement nonien. Et ailleurs, il arrive qu’on trouve d’éloquents cyber-champions du Oui. Alain Lipietz, par exemple. Les 20 arguments de Lipietz pour le oui. Certes, il ne recule pas devant le slogan : "Voter non, c’est votre Nice", écrit Lipietz. Nice, c’est à dire "le libéralisme à l’échelle européenne, et la régulation laissée aux nations, c’est à dire vouée à l’échec". Mais justement, où Lipietz est à son meilleur, c’est quand il réfute les arguments des noniens Verts, comme dans ces "20 arguments pour le oui", qui sont en fait "20 réponses aux arguments du non".

Autrement dit, Internet est un formidable espace de réfutation, d’opposition, de contre-pouvoir, et pas de proposition.

Rien à faire, un ouiste sur la toile semble toujours en visite, de passage. Prenez DSK, par exemple. DSK a ouvert un Blog parce que ça faisait moderne. Moralité, ses textes semblent aussi personnels que les lettres-types que l’on peut recevoir d’un éditeur, après envoi d’un manuscrit où l’on raconte son enfance malheureuse. DSK jette de temps en temps à ses blogueurs l’aumône de son agenda de la semaine prochaine, ou d’une profession de foi (il arrive aussi qu’il remercie la fédération socialiste d’Ille et Vilaine pour son accueil si amical), mais celà se perd dans les sables. A la différence de Juppé, authentique blogueur, que j’ai déjà vu sauter sur son Blog pour répondre, là, tout de suite, maintenant, sans attendre, à une remarque particulièrement imbécile, stupide, crétinissime (calme-toi, Alain, tu veux des boules chinoises ?) d’un blogueur nonien.

Bon, pas d’excitation. Si le non l’emporte, je ne crois pas que le media Internet en sera seul responsable. Si le non l’emporte, amis noniens du Big Bang Blog, ce sera très largement dû à un argument dont il n’a pas été question une seule fois sur ce Blog : le vote anti-turc. C’est d’ailleurs, sauf lacune, un argument dont la blogosphère ne s’est pas tellement emparée. L’anti-turc ne discute pas, ne blogue pas, ne goûte que modérément la contradiction. L’anti-turc va voter, et plutôt deux fois qu’une. Point barre.

Pas seulement Internet, donc. Mais Internet tout de même. Internet qui ne donne ses chances à tout le monde qu’en apparence. Au total, entre les noniens qui combattent le Goliath de la Constitution, et les David ouistes qui réfutent les réfutations des David noniens, quelle cause est la mieux servie, dans une campagne à l’issue de laquelle il faudra dire oui ou non au texte, par le media Internet ?


Répondre à cet article

Forum

Vous consultez une archive, retrouvez l'actualité ici : Etienne Chouard - Plan C