Pascal Lamy d’accord pour débattre, mais pas avec n’importe qui

et moi je ne sais toujours pas quoi voter au referendum (6)
samedi 2 avril 2005.
 

L’inconvénient des débats, c’est qu’on est obligé d’y rencontrer des gens qui ne sont pas d’accord avec vous.

Parfois même, de discuter avec eux.

Cette semaine, nous souhaitons consacrer notre émission Arrêt sur images à la médiatisation de la directive Bolkestein.

En effet, cette directive (ou ce projet de directive, comme le rappelle avec insistance Christine Ockrent) est publique depuis plus d’un an. Dans ces conditions, pourquoi n’a-t-elle commencé à embraser les medias que depuis janvier 2005 ?

Est-ce parce qu’auparavant, personne n’y comprenait rien ? Parce que personne ne la connaissait ? Et si personne ne la connaissait, est-ce parce que la Commission Européenne ne lui avait pas accordé une publicité excessive ? La directive Bolkestein fait-elle partie de ces "directives Dracula" qui craignent la lumière ?

Et à propos, comment fonctionne la circulation de l’information, à Bruxelles ?

Toutes questions passionnantes.

Nous avons donc invité des journalistes français en poste à Bruxelles.

Nous avons aussi invité Raoul-Marc Jennar, politologue. En commençant à suivre le cheminement souterrain de la directive, Perrine Dutreil, d’Arrêt sur images, a en effet découvert que Jennar tentait en vain depuis plus de six mois d’alerter les medias sur le sujet.

Quand il n’y avait qu’une seule personne en France qui sonnait le tocsin sur la directive Bolkestein (celle que Chirac s’est vanté d’avoir renvoyée dans les cordes devant les caméras émerveillées) c’était Jennar. C’est lui, dès mars 2004, qui a averti Henri Emmanuelli. Raoul-Marc Jennar est bien connu des lecteurs du BBB. Dans un précédent voyage, j’étais tombé sur un de ses textes. Je me suis aussi fait vertement tancer par Ivanov parce que, dans le feu d’une discussion avec Annie, je l’avais appelé Raoul. Pour me punir d’avoir appelé Raoul Marc Jennar Raoul, j’ai même été obligé d’appeler Olivier Duhamel Olivier.

Tout celà est oublié.

Nous avons aussi souhaité inviter un des deux commissaires français membres de la commission qui avait adopté cette directive, l’an dernier. Nous avons donc contacté Pascal Lamy, ancien commissaire français (et socialiste) à Bruxelles.

Lamy est d’accord pour venir. Il a expliqué à Perrine à quel point il était préoccupé par le déficit de communication dont souffrent les institutions européennes. Lamy sur notre plateau, un témoin de première main, de l’intérieur, de la communication sur l’Europe, ce serait un "coup", comme disent les journalistes. Formidable.

Un seul petit problème : il ne veut pas débattre avec Jennar. Il l’a dit à Perrine, assortissant Jennar d’une batterie de noms d’oiseaux que la décence m’interdit de reproduire ici.

Ah.

Fâcheux.

Pourtant dans le passé, Pascal Lamy a côtoyé sur des plateaux de télévision des nonniens estampillés comme Marie-George Buffet, ou Philippe de Villiers. Il n’a donc pas peur du débat, ni contre les nonniens de gauche, ni contre les nonniens de droite.

Je me suis donc demandé pourquoi Jennar lui faisait peur. Vive Google : j’ai tapé Jennar Lamy. Première impression : c’est copieux.

Deuxième impression : Jennar est plutôt du genre harcelant.

Et un harceleur qui ne mâche pas ses mots. "Combien de temps encore, Pascal Lamy, Commissaire européen au commerce, allez-vous abuser de notre patience ? De la patience de toutes celles et tous ceux, en Europe et dans le monde, qui vous entendent dire une chose et vous voient faire son contraire ?"

Etc, etc.

"Arrogance, duplicité, cynisme, mépris pour les choix démocratiques des peuples" : d’accord, Jennar a l’interpellation véhémente. Mais enfin, il ne fait pas celà pour pourrir la vie de Pascal Lamy. L’interpellation est argumentée. C’est un militant, appuyé sur une vision de l’Europe, et du monde.

Jennar a même pisté Lamy jusqu’au sommet de l’OMC à Cancun. Raoul va jusqu’à tourner en dérision le jogging quotidien de Pascal. Mais qui croirait qu’une susceptibilité de jogger soit à l’origine du refus de Lamy ? Il y a bien cette interview dans laquelle, à mon sens, Jennar dérape quelque peu en traitant Lamy, à demi-mot, de colonialiste, mais enfin, ce n’est toujours pas une raison suffisante.

Eh, Pascal Lamy, il ne vous a pas échappé qu’on est en campagne, et que le dernier sondage donne le non à 55%. Tout le monde explique qu’il faut débattre. Raffarin vous demande d’aller chercher les votes oui, un par un. Chirac vous demande de débattre. Bon, si l’on en croit L’Express, la conception que ces deux-là se font du débat est singulière, puisque c’est une grosse colère de Chirac qui est à l’origine de l’annulation de l’invitation de Barroso à l’émission "Cent minutes pour convaincre", sur France 2 (j’y reviendrai, d’ailleurs. C’est énorme, cette annulation. Je ne parviens pas à croire que Chirac ait pu demander à France 2 de cacher Barroso, comme il avait demandé à Barroso de cacher la directive Bolkestein sous le tapis, et que des dirigeants de la télévision aint pu obtempérer).

Alors ?

Je crois comprendre ce que vous gêne chez Jennar. Il n’est "pas de votre monde". "Pas du même niveau". C’est un truc souvent donné aux hauts responsables par les conseillers en communication : surtout, ne jamais débattre avec quelqu’un qui soit d’une notoriété inférieure à la sienne.

Si je peux me permettre, Pascal Lamy, ce conseil me parait aujourd’hui légèrement dépassé. Je ne sais pas si Raoul-Marc Jennar est déjà passé à la télé. En ce moment, Jennar parcourt la France, loin des caméras. Jetez simplement un oeil à son agenda. Quand il va venir pour notre enregistrement, il disposera de deux heures, pas une de plus, entre le train de Bordeaux et un train pour La Roche sur Yon. A chaque fois, c’est cent, deux cent, cinq cent personnes qui sortiront consolidées dans le choix du "non". Quelque chose me dit que ces réunions déplacent davantage de voix qu’une émission de Christine Ockrent.

Voilà. Celui qui vous parle ici n’est pas seulement le journaliste, c’est aussi le citoyen. Comme je tente de m’en expliquer sur ce blog depuis quelques jours, je ne sais toujours pas quoi voter au referendum. Un débat entre Jennar et Lamy pourrait m’aider, comme quelques autres milliers, ou millions, d’électeurs encore indécis. Et dans l’immédiat, si vous nous forcez à choisir entre Jennar et vous, alors la mort dans l’âme de renoncer au débat, on choisira Jennar.


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