Au secours, je ne sais pas quoi voter au referendum ! (5)

Où notre explo-électeur croise quelques fantômes inattendus
samedi 26 mars 2005.
 

Duquesnoy ne me croit pas. Duquesnoy croit que je joue "les faux naïfs". Duquesnoy pense que je sais quoi voter, à l’heure qu’il est. Si vous saviez, Duquesnoy !

En temps ordinaire déjà, quand il s’agit de départager deux candidats à la mairie que j’ai vus tous deux au marché bavarder avec le charcutier, ou deux candidats à la présidentielle qui ont tous deux leur marionnette, je suis l’incarnation de l’Indécision.

Jusqu’à la veille du jour du scrutin, je suis dans les affres.

Le matin, je suis au supplice.

A l’entrée du bureau de vote, j’ai les jambes qui flageolent.

Dans l’isoloir, je sors mon pique-nique. Une fois, ils ont déclenché les recherches.

Sérieusement. Jusqu’au dernier moment, depuis que j’ai l’âge de voter, j’hésite entre le vote utile et le vote buissonnier. Vous voyez Milou dans Tintin au Tibet, Duquesnoy, quand il hésite à plusieurs reprises entre l’ange et le démon ? C’est moi. Les anges du vote utile m’attirent sur la voie de la Responsabilité, du "on ne peut pas faire autrement", du "on est embarqués dans l’histoire, maintenant". Mais les démons du vote buissonnier me sussurent : "et si on essayait de tout casser, et de tout recommencer ?" "Et s’il suffisait de vouloir, après tout ?"

Et finalement, me demanderez-vous, qu’est-ce que vous faîtes ?

Oh là, Duquesnoy ! La transparence du blogueur a ses limites. Secret de l’isoloir. Rideau fermé. Conscience inviolable.

D’autant plus que ça change à chaque fois. J’ai parfois voté utile, parfois buissonnier, mais toujours choisi au dernier moment. Je suis un fléau statistique. Une aberration sondagière.

Sauf le 21 avril 2002.

Le 21 avril 2002, c’est ma fierté. Ma médaille. Mon titre de gloire.

Le 21 avril 2002, je savais dès la veille ce que j’allais voter. Peut-être même l’avant-veille. Ils ne m’ont pas reconnu, les assesseurs (ce sont toujours les mêmes, des parents d’élève, on se connait depuis que les enfants sont à la maternelle. Je soupçonne qu’ils soupçonnent mes affres). Allure décidée, fermer de rideau martial, grand sourire : méconnaissable. Sans doute une petite voix me murmurait-elle : pas de bêtise, cette fois-ci.

Alors à 20 Heures, comme tout le monde, j’ai senti la terre s’ouvrir sous mes pieds, mais heureusement, je pouvais me dire "au moins, ce n’est pas à cause de moi". Et dans les jours suivants, ils pouvaient bien venir sangloter, les flagellants de l’abstention, les éplorés du facteur, les foudroyés de Chevènement, les décillées d’Arlette. J’avais Ma Conscience Pour Moi. Aujourd’hui encore, quand je vois Borloo ou Douste-Blazy lancer un plan par jour, ou quand j’entends Dominique Ambiel expliquer qu’en fait il voulait verrouiller la portière de la voiture, je peux me dire : je n’y suis pour rien. Ce n’est pas ma faute.

Pourquoi vous parler du 21 avril ?

Parce que j’ai lu ce matin un message dans le forum de Libé. Mano Atreide, lui (elle ?) aussi, se souvient du chant des sirènes du 21 avril.

"- Moi j’vote le facteur. Y sait pas de quoi y parle mais ca le fait bien de voter le facteur coco-réac de Neuilly. Trop hype ...
-  Moi je vote la coco-sectaire Arlette. Trop top mode la Arlette, elle passe à NPA. Elle est plus Star que Johnny (Euark again)
-  Moi je vote CHevenement, tu sais, ce ressuscité de gauche, il a echappé à la mort, il sait ce qui est important lui . En effet ... le seul ministre de la défense qui a démissionné juste avant que les armées françaises n’entrent en guerre. Comme si CA c’était pas le comble du politicard qui veut juste bouffer au ratelier mais RIEN ASSUMER !!!
-  Moi je vote « Parti de la loi naturelle », ils sont trop mignons. Ils vont résoudre nos problems à coups de chdouille chdouille sur des tapis de yoga ..."

C’est idiot, mais Mano Atreid m’exprime. Il (elle ?) exprime bien les sussurements tentateurs du vote buissonnier, tels qu’ils bruissent parfois à mes oreilles. C’est idiot, mais j’ai comme l’impression que le fantôme du 21 avril va compter, dans mon choix de cette fois-ci.

Il va compter parmi d’autres facteurs (non, rien à voir avec Besancenot). L’esprit de contradiction, par exemple. Je commence à entrevoir comment le déferlement imbécile de propagande ouiste par les grands medias va me pousser vers le non. Mais l’esprit de responsabilité aussi. L’étude attentive des articles (du calme, tous ceux que j’entends d’ici me reprocher d’avoir dévié du cap initial, l’étude notariale des articles. Du calme, il nous reste deux mois, tout de même !) Mais celà va compter. La tentation de "tout envoyer ballader, et puis merde !" existe. Il faut y regarder à deux fois, avant d’y céder.

Et puis (allez, puisque cette méditation pascale est à la gravité, allons-y jusqu’au bout), au milieu de tous les facteurs qui compteront, il y aura la paix. Vous savez, la paix ? Vous savez, cette phrase des ouistes, à la télé, qui parait expédiée comme une clause de style, au début de la liste de toutes les bonnes raisons de voter oui. Mais si, souvenez-vous, vous avez forcément entendu DSK, de sa belle voix grave : "d’abord la paix, bien entendu".

Pour moi, la paix n’est pas "bien entendu". Je vis depuis quarante-sept ans dans un continent en démocratie, et en paix. J’appartiens à la première génération depuis la nuit des temps qui jouisse de ce privilège. Et croyez-le ou non, j’en suis pleinement conscient chaque matin.

Je me souviens d’une des premières images de télé qui m’aient frappé, lors des guerres de Yougoslavie (je venais de commencer la chronique-télé du Monde). On y voyait des combattants, dans une ville, s’abriter des tirs adverses dans une encoignure de porte. Et dans cette encoignure, à l’arrière-plan, on pouvait voir des interphones et des digicodes. J’en avais été saisi.

On pouvait donc se faire la guerre, au siècle des digicodes. Mercenaires et digicodes. Criminels de guerre et digicodes. Camps de prisonniers et digicodes. Ruines et digicodes. Charniers et digicodes. Ces associations de mots étaient possibles.

Donc oui, je crois que la guerre est toujours possible. Oui oui, en 2005, en Europe. Attention, amis nonniens, je ne pense nullement que si la France vote non, les armées polonaises, anglaises et lituaniennes vont se mettre en branle au matin du 30 mai, pour venir châtier les rebelles. J’ai simplement la conviction que la guerre est toujours possible. Et oui, je tiens à l’Union Européenne comme à un trésor.

Donc ?

Donc rien. Rien de plus pour l’instant. Quel que soit mon vote final (et à l’heure qu’il est, vous avez compris que je n’en sais rien encore) il sera celui d’un type qui tient à l’Union Européenne comme à la prunelle de ses yeux.


Répondre à cet article

Forum

Vous consultez une archive, retrouvez l'actualité ici : Etienne Chouard - Plan C