par Bastien François Professeur de science politique et
de droit constitutionnel à l’Université Paris I (Panthéon-Sorbonne), Le débat
engagé sur le Traité établissant une Constitution pour l’Europe (TCE) est
légitime : il est nécessaire d’échanger arguments et contre-arguments
pour le « oui » ou pour le « non », et cela peut-être
plus encore pour les citoyens de gauche (dont je suis, sans être membre
d’aucun parti) dans la mesure où le TCE est accusé de bafouer les valeurs de
la gauche en faisant le lit de
l’ultra-libéralisme. À ce titre,
tout le monde a le droit de s’exprimer, y compris bien entendu M. Chouard,
professeur au lycée Marcel Pagnol de Marseille, et de faire valoir ses arguments.
Le texte de M. Chouard a circulé partout en France dans les boîtes aux
lettres électronique de nos concitoyens. Malheureusement, alors que M.
Chouard commence son texte en revendiquant son identité de professeur de
droit (qui s’est avérée usurpée…),
son argumentation véhicule de nombreuses erreurs juridiques et de grossières incompréhensions du
fonctionnement de l’Union européenne. Son texte contribue donc à fausser le débat démocratique sur la Constitution
européenne.
Afin de mieux être
compris, je présente ici d’abord un résumé de des erreurs ou des approximations d’Etienne
Chouard, puis une analyse plus approfondie sur les 5 points qui sont au cœur
de sa démonstration. Merci de prendre le temps de me lire, et de faire
circuler ce texte le plus largement possible, pour rétablir les bases d’un débat... non faussé. |
Réponses d’Étienne CHOUARD Trets, 17 mai 2005.
Remarque : la plupart
des réponses aux arguments de Monsieur François qui parle de la toute
première version de mon texte (celle du 25 mars) sont depuis longtemps dans
les versions récentes de ce texte, qui tient compte, autant que faire se
peut, des critiques reçues. Autre
remarque : j’ai reçu récemment, et
publié sur mon site, une autre réponse au texte de M. Bastien François, écrite par Jean-Jacques Chavigné. Bâtie d’une autre façon que la mienne,
complémentaire de mes propres arguments, elle aussi est une forte argumentation. Comme
d’habitude, faites passer de
préférence un lien vers ce texte, plutôt que le texte lui-même, pour lui
permettre de se parfaire avec le temps : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Echanges.htm
Je
n’ai rien usurpé du tout : il y a des professeurs de droit ailleurs qu’à
l’Université, par exemple dans presque tous les lycées de France. Tout le monde peut se tromper, dans
les lycées comme à l’Université… :o) Je n’ai pas l’impression de fausser le
débat : le fleuve d’enthousiasme qui inonde ma boîte aux lettres, y
compris de la part d’universitaires et de chercheurs renommés, montre plutôt
le contraire. "trompés"
"mensongers"… avec un tel registre de langage, je n’ai pas très
envie de répondre… mais bon… Hum… |
Résumé : 1. « Longueur
du texte » : Le traité tient en 28 Si l’on ne
prend que ce qu’il y a de nouveau dans le TCE par rapport aux traités existants
(qui sont compilés dans la partie 3), il n’y a que quelques pages à lire (les parties
1, 2 et 4 représentent moins d’1/5 du volume). |
En écrivant plus petit, et sur des
pages plus grandes, on pourrait encore diminuer le nombre de pages, mais cela
ne rendrait pas le texte plus lisible. Je travaille sur ce texte depuis des
milliers d’heures et je trouve encore chaque jour des chausse-trapes
inacceptables… Ce texte est illisible pour le commun des mortels. Voudriez-vous nous
faire croire que la partie III n’a pas de valeur obligatoire ? Affirmez-vous
que cette partie ne mérite pas de recevoir l’assentiment des peuples ?
Trouvez-vous normal qu’une coalition politique libérale profite de sa force
temporaire pour rendre éternelle sa politique par le jeu d’une partie III de
« Constitution » ? Trouvez-vous démocratique que cette
coalition temporaire prive ainsi le peuple de décider à la majorité de la
politique qu’il estime bonne pour lui ? À mon sens, un prof de droit doit expliquer qu’une
Constitution ne sert pas à confisquer l’alternance politique. En tout cas, mes
propres profs, à la fac, m’ont appris ça :o) |
Références
libérales » : VRAI, mais le texte codifie
dans le même temps de très nombreuses contraintes sociales et environnementales
qui s’imposent dorénavant au niveau européen, contraintes qui n’étaient pas
présentes dans les précédents traités (notamment les articles I-3, II-80 à
II-97, III-116 à III-122, III-203 à III-224, III-233 et III-234). |
Est-ce que c’est une réponse de dire VRAI à l’inacceptable (l’arrogante constitutionnalisation
du néolibéralisme) et d’enchaîner sur d’autres sujets ? Je n’ai, pour ma part, lu aucune contrainte
sociale et environnementale réelle
dans le TCE. J’ai même vu tout le contraire. Je lis dans l’article 3 des grands
principes (évidemment consensuels) qui ne
trouveront leur application qu’à travers les décisions des juges de la CJE.
Or j’observe
que ces juges sont directement
dépendants pour leur carrière des exécutifs qu’ils seront amenés à juger
(art. I-29) : chaque État nomme un juge, pour 6 ans seulement,
renouvelables. En tant qu’"authentique professeur de
droit" (non usurpé, je veux dire), je suis sûr que vous accordez une
importance toute particulière à l’indépendance
des juges. J’ai acheté et lu votre livre sans y trouver votre avis sur ce
point, pourtant absolument central dans les institutions européennes, à mon
avis. Je suis sûr que
vous aurez à cœur de nous expliquer pour quelles raisons les citoyens
devraient accepter un tel risque antidémocratique, autant pour l’interprétation
de tous les textes que pour l’arbitrage de tous les litiges
importants. |
Révision
nécessitant l’unanimité » : VRAI, MAIS c'est la
situation de tous les traités européens existants. Même s'ils ne s'appellent pas
« Constitution », ils partagent avec le
projet en cours le fait de n'être révisables que par ratification unanime et
le fait d'être juridiquement supérieurs à la loi nationale. Cependant, le TCE sera plus facile à
réviser que les traités de Nice et Maastricht, et en particulier pour la partie
III grâce à une procédure de révision
simplifiée et des clauses passerelles (art. IV-444 et IV-445). Surtout,
le Parlement européen aura le droit d’initiative pour demander une révision. |
Le droit pour les peuples de modifier à la majorité leur Constitution
(respecté dans toutes les démocraties) est-il moins important que la nature
du texte ("traité" ou pas) ?
Qu’est-ce
qui compte le plus pour un professeur de droit : la protection
des individus ou celle des États ? Je suis sûr qu’il
n’a pas échappé à Monsieur François
que les peuples sont tenus à l’écart
(pas d’approbation directe) des procédures de révision simplifiée, ce qui
fait de ce TCE une "Constitution à
géométrie variable" dont les peuples signataires doivent accepter
l’idée que leur engagement d’aujourd’hui pourra changer demain sans leur
consentement direct… Je ne comprends
pas en fonction de quel fondement juridique je devrais être prêt à signer un
tel chèque en blanc. N’est ce pas
une erreur juridique d’accepter la possibilité d’une modification des
engagements d’un pacte sans l’accord explicite des toutes les parties ? Je ne veux pas
qu’on revienne, sans mon consentement de citoyen, sur le concept de peuple souverain, gagné de haute lutte par mes aïeux. Ce concept est partout
bafoué dans les institutions européennes où le peuple ne compte pour pas
grand-chose. |
« Caractère
temporaire du Traité de Nice » : FAUX. (Ce sont aussi les mêmes dispositions
qu’on retrouve dans l’article IV-446 du TCE et dans les traités précédents :
l’article 51 du traité sur l’Union Européenne et l’article 312 du traité
instituant la Communauté européenne.) |
De nombreux hommes politiques (de tous
bords) commettaient cette erreur, et je l’ai commise à mon tour dans mon
texte en omettant de vérifier ce point. Ce n’est pas grave du tout.
|
Entrée de la
Turquie facilitée et décidée par l’Union »: FAUX. Les compétences de l'Union sont très précisément définies
(I-11 à |
Erreur de ma part, corrigée le lendemain
de la publication du premier document (le 26 mars). Encore un point de
détail, par rapport à la gravité de tout le reste. |
6. « Tous les pouvoirs appartiennent au Conseil des ministres et
à la Commission » : FAUX. La Commission n’a qu’un pouvoir de proposition. Elle doit exécuter les décisions prises par le Conseil des ministres
et le Parlement. Dans l’Union européenne, union des citoyens et des États, le pouvoir législatif a
deux branches. Les citoyens sont représentés au Parlement, c’est l’une des
branches du pouvoir législatif. Le Conseil des ministres
représente, lui, les États membres de l’Union, c’est l’autre branche
du pouvoir législatif. |
Il est difficile de comprendre le
système mis en place car le texte du TCE ne dit pas tout. Précisément, je n’ai pas dit du tout
que la Commission avait tous les pouvoirs. J’ai justement mis ensemble
Conseil et Commission parce que, souvent, la Commission semble être le seul
"contre-pouvoir" d’un Conseil des ministres qui légifère seul
(procédures législatives spéciales et actes non législatifs). Vous apportez
donc de l’eau à mon moulin, je vous remercie ;o) Le fait que la Commission n’ait pas de pouvoir réel met en
valeur ce qui est devenu mon principal reproche aujourd’hui : aucun
organe de l’Union n’est réellement responsable de ses actes, aucun ne
peut être révoqué… sauf la Commission qui peut être censurée. Or, vous reconnaissez vous-même qu’elle n’a
précisément qu’un pouvoir de proposition, donc pas de pouvoir réel. À quoi sert donc de sanctionner ceux qui n’ont pas le
pouvoir réel ? Présenter le Conseil des Ministres comme un organe législatif me paraît fortement
antidémocratique car cette situation est un exemple académique de confusion des pouvoirs : les
mêmes hommes qui font le droit au niveau européen vont appliquer eux-mêmes ce
droit (automatiquement transposé) au niveau national. La comparaison avec le Sénat français n’est évidemment pas acceptable : le Sénat est élu et n’a pas de pouvoir
exécutif. Et si le Sénat français
n’est pas exposé à la dissolution, c’est parce qu’il n’a que peu de pouvoir
(c’est l’Assemblée nationale qui
prévaut en cas de désaccord). Donc, il n’y a rien de commun entre le
Sénat français et le CM européen,
et on peut déplorer une inquiétante confusion. Il me semble donc que la
"grossière erreur juridique" peut changer de camp ;o) |
Les pouvoirs du
Parlement européen ont été considérablement
augmentés par le TCE, qui sera dorénavant sur un pied d’égalité avec le
Conseil des ministres (procédure législative ordinaire III-396). |
Un Parlement
qui n’a pas l’initiative des lois,
qui est carrément exclu de certains
domaines au profit d’un collège de représentants des exécutifs nationaux
(sans liste explicite de ces domaines), un pouvoir amputé sur le budget sans voter les recettes… On comprend
que vous insistiez sur la valeur relative (par rapport à un antécédent
encore plus calamiteux) plutôt que sur l’absolu (qui reste
inacceptable). Au risque de
paraître vieux jeu, en tant que citoyen, je tiens à la séparation des
pouvoirs et au rôle exclusif du
Parlement dans l’élaboration des lois auxquelles je vais devoir bientôt
obéir. Et au moment de
donner ma caution populaire, pour la première fois depuis 13 ans, je tiens à
signaler que l’organisation qu’on a
bâtie sans moi n’est pas assez respectueuse du "peuple souverain"
auquel, naïvement, je croyais mes représentants plus attachés. |
|
Je ne crois pas avoir écrit cette phrase,
il est donc facile de dire "FAUX". J’ai écrit que le Parlement n’a aucun moyen sérieux de contrôler et d’infléchir la
politique menée par l’exécutif (je considère évidemment le Conseil des Ministres
comme un organe exécutif même si on voudrait me faire croire qu’il est un
organe législatif, c’est-à-dire me faire prendre des vessies pour des
lanternes), et je reste aujourd’hui sur cette impression forte. Au fait, selon
les articles 26 et III-340, la censure concerne « la gestion de la Commission ». Ce qui signifie que le Parlement ne peut pas censurer la Commission
pour la politique qu’elle mène, mais seulement pour sa gestion
(comme la Commission Santer qui
avait été menacée de censure pour des malversations). De plus, pourquoi cette censure est-elle donc aux
2/3 et pas à la majorité simple ? Est-ce
démocratique ? Donne-t-on ici son
juste poids à la volonté des représentants directs du peuple ? J’ai aussi écrit que les commissaires n’ont pas de comptes à
rendre au Parlement, et je fais ici référence, par exemple, au mépris
opposé aux parlementaires (qui a réellement été constaté) quand ils ont osé
demander à consulter les documents relatifs aux négociations sur l’AGCS
(Accord sur le commerce des services, voir le livre de Raoul Marc Jennar, p. 70 et s.). |
8. « Le
conseil des ministres n’est pas responsable devant le Parlement » : VRAI, mais NORMAL. Le Conseil des ministres n'est pas
responsable devant Enchaque gouvernement national est responsable devant son
Parlement national et donc devant ses propres électeurs. De plus, les délibérations et votes du
Conseil des ministres seront publics (I-24-6), c’est une innovation majeure du TCE allant dans le sens
de la transparence, du contrôle démocratique et de la responsabilité
politique des gouvernements nationaux au sein du Conseil des ministres
européens. |
Si vous trouvez normal qu’une
institution puissante ne soit pas responsable de ses actes politiques, ça
vous regarde, mais souffrez qu’on défende un autre avis et qu’un débat ouvert
sur ce point se déroule démocratiquement. J’ai déjà dit
pourquoi la comparaison avec le Sénat
français me paraît être une supercherie. Et je trouve
que la responsabilité au niveau
national que vous invoquez est toute théorique : Il faut d’abord
savoir qu’il a démérité car le
Conseil des Ministres délibère bien loin des peuples, encore à huis clos
en dehors de son rôle législatif : les partisans du TCE oublient
souvent de préciser que la publicité des travaux ne concerne que les actes
législatifs. Les « actes non législatifs » (justement
dénoncés comme antidémocratiques par les conventionnels qui ont refusé de
signer le TCE) restent discutés et votés à huis clos, on se demande bien
pourquoi. Une fois
informés, les citoyens en colère devront convaincre une majorité de leurs
parlementaires nationaux de voter une censure de leur gouvernement national
au grand complet (seule possibilité de contrôle politique en France), censure
qui aura finalement comme effet de changer un seul ministre sur 25 au niveau
européen… Un immense effort pour un résultat quasi nul. J’ai bel et bien le sentiment que les
peuples perdent, avec ces institutions, toute influence réelle sur la politique
menée en Europe. Ce qui rend encore plus imbuvable l’aspect libéral de la
politique imposée par la partie III, puisqu’on n’aura vraiment aucun moyen de
résister, même en devenant majoritaires ! |
Commissaire chargé
du commerce international agit sans contrôle du Parlement » : FAUX
(III-315-3), le commerce international fait l’objet d’une loi européenne ; le Conseil des ministres et le Parlement
doivent être associés aux négociations. |
J’ai déjà parlé de ce mépris envers
les parlementaires pendant la phase de préparation des lois. Le débat sur les brevets sur les logiciels
est un nouvel exemple, actuel, où les parlementaires doivent se battre pied à
pied avec une Commission qui force le passage (voir les diatribes de Monsieur Rocard qui peste contre les « inélégances »
de la Commission). |
« Pour la
première fois, ce serait une caution populaire donnée à un traité
européen » : FAUX, le traité de Maastricht a été lui aussi adopté en
France par référendum en 1992. |
OK, ce n’est donc pas la première fois qu’on me consulte, moi français.
Erreur corrigée dans mon texte. Je rappelle qu’en 1992, seuls
deux pays ont été consultés par référendum, la France et le Danemark
(à qui on a demandé de revoter après qu’il ait refusé !). Chacun appréciera
l’importance que donnent les bâtisseurs de l’Europe à l’assentiment direct de
tous les peuples aux mutations engagées… |
« Les droits
fondamentaux et les valeurs de l’Union sont de beaux principes généraux sans
force contraignante »: FAUX. La conformité |
OK
j’exagère un peu, mais je ne suis pas le seul ;o) Car ceux qui annoncent une grande avancée
démocratique oublient que cette Charte ne s’impose pas aux États membres en
dehors du droit créé par l’Union, ce qui en limite la portée, et surtout que
sur le fond, rien de nouveau n’apparaît dans cette Charte par rapport
à la situation antérieure (Charte annexée au traité de Nice), et même
plusieurs droits ne sont pas reconnus dans la Charte alors qu’ils existent
dans le droit des États membres : c’est notamment le droit au travail
qui a disparu. Attention : il faut bien lire la Déclaration n°12
(explications du Praesidium) pour
interpréter la Charte. Et quand on voit comment ces
"grands principes protecteurs" rappelés depuis longtemps dans les
Constitutions nationales protègent peu les individus contre la pauvreté et la
précarité dégradante, on ne peut que relativiser "l’avancée démocratique
historique" de cette partie II, plus "poudre aux yeux"
qu’argument fort pour apprécier ce texte. Sur le point de la Charte, je renvoie à l’intéressante réponse de JJ Chavigné (page Échanges de
mon site). |
Assemblée constituante
pour écrire le texte ». Toutes les constitutions, même les plus
démocratiques, ne sont pas rédigées de cette façon. |
De nombreux professeurs de droit
public réclament une vraie Constituante, élue sur un programme constituant
explicite, qui seule peut donner sa force au principe protecteur gagné de
haute lutte en 1789 : tous les
pouvoirs sont issus du peuple souverain. Est-ce qu’un professeur de droit, en
2005, en France, peut oublier ou négliger cela ? |
Le plus important ici c’est que la Constitution européenne
a été rédigée par une « Convention
européenne », comptant 72 élus (sur 105 membres), élus au suffrage
universel direct, et représentative
des principaux courants d’opinion en Europe (voir détail de composition
dans la partie 4 ci-dessous)
|
Non : le plus important est que les hommes qui créent ou modifient les
institutions soient directement et explicitement mandatés par les citoyens pour le faire. Cette Convention n’a reçu aucun mandat du peuple pour agir. De
la même façon qu’un maire ne peut pas
siéger au Parlement, un
parlementaire n’est pas habilité à préparer de nouvelles institutions sans avoir
reçu directement un mandat explicite. Un membre de gouvernement ou un
simple acteur de la vie publique, fut-il éminent, encore moins ! La transparence
et la conduite des débats et des votes, ainsi que la représentativité des
membres, ont précisément fait l’objet de sévères
critiques de la part même de certains de ses participants : il faut
lire le « contre rapport »
de la Convention (pages 21 et suivantes) : On est loin de ce qu’on peut attendre
d’une véritable assemblée constituante. Je fais
remarquer que chaque fois que l’ONU
organise la démocratie dans un pays, elle commence toujours par
programmer l’élection d’une Assemblée Constituante. Je suis étonné de constater que
certains juristes européens acceptent de s’en affranchir. |
Rappel de la nature juridique de l’Union européenne L’union Européenne est un
ensemble politique unique, une union
d’États et de citoyens. Elle se
constitue donc sous la forme d'un traité (accord international entre des
États souverains) et d'une
constitution (acte de souveraineté des citoyens). Jamais dans l’histoire des
démocraties, jusqu’alors entièrement centrée dans le monde occidental autour
du modèle de l’État-nation, n’a été créé de toutes pièces un véritable système politique
démocratique supranational. D’où la nécessité de repenser de fond en
comble les catégories avec lesquelles nous appréhendons de façon générale les
systèmes politiques, et en particulier l’opposition traditionnelle entre le
national et l’international. Car penser une Europe politique
démocratique aujourd’hui c’est nécessairement rompre
avec ce type d’opposition entre le national et l’international, c’est inventer quelque chose de nouveau qui tienne
compte de l’existant (il y a des États européens souverains, des cultures
politiques nationales, des intérêts nationaux), qui s’inscrive dans une
continuité (les traités qui ont scandé la construction
européenne) mais qui permette dans le même temps de s’en dégager
pour bâtir un nouveau
mode de démocratie. Autrement dit, nous devons apprendre à penser le national en
même temps que l’international, sans les dissocier. C’est ce qu’essaie de faire ce « traité
établissant une Constitution pour l’Europe ». Il s’agit bien d’établir
une constitution inter-nationale, européenne. |
Une union
d’États : c’est bien le problème puisqu’on constate que la volonté des
citoyens compte effectivement pour peu de chose dans l’Europe proposée. À l’évidence, ce seront les États (ou plutôt leurs
représentants) qui feront la loi si on adopte le TCE. Il est absolument inadmissible de voir ainsi des États
dépouiller leurs propres peuples des pouvoirs de leurs institutions
nationales à coups de traités. Je m’étonne
vraiment qu’un professeur de droit, a
fortiori enseignant à la Faculté, admette aussi docilement cet abus
de pouvoir caractérisé : ni
les gouvernements, ni les Parlements ne sont propriétaires de la souveraineté
populaire qu’ils ne font que représenter temporairement. Seul le peuple, directement, peut disposer
d’elle. Je ne suis pas
prêt, à sacrifier sur l’autel de la nouveauté ce droit fondamental qu’ont conquis mes
parents pour moi et mes enfants : le
droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Je veux une Europe unie et forte, mais je veux une Europe
qui respecte les peuples. Tout le
problème est précisément que le
système s’affirme démocratique alors qu’il ne l’est pas. Les
États ne sont pas le peuple. |
Analyse approfondie des 5 principaux arguments avancés
par Étienne Chouard Selon M. Chouard, 5 principes
fondamentaux du droit constitutionnel seraient bafoués par ce traité
établissant une Constitution pour l’Europe. Examinons ses affirmations : 1.
« Cette Constitution
est un texte illisible » Ce texte
serait trop long. Il est certes long.
Mais ce qui fait l’essentiel
de cette Constitution et son originalité, ce sont les deux premières parties, de quelques pages seulement,
qui définissent clairement les objectifs
et les valeurs de l’Union, les nouveaux mécanismes institutionnels, et la
Charte des droits fondamentaux. Ce sont ces deux premières parties que
les citoyens devraient
lire en priorité,
car le reste n’est
qu’une compilation réaménagée et clarifiée des traités actuels |
La troisième partie
peut s’analyser, et de nombreux professeurs de la Faculté ne se privent pas
de le faire, en un abus de pouvoir
antidémocratique qui prive les peuples du droit de disposer d’eux-mêmes
en imposant constitutionnellement une politique économique donnée qui ne
pourra plus varier profondément en fonction des prochaines assemblées élues. La
forfaiture serait encore renforcée si on ne soumettait même pas cette troisième
partie au vote populaire direct, en procédant à coups de traités, d’État à
État, ce que vous envisagez quasiment quand vous suggérez que nous ne
devrions pas la lire en priorité : la politique économique de nos pays
nous regarde donc si peu ? |
qui resteraient de toute façon en
vigueur si la Constitution n’était pas adoptée.
|
Le fait que la
partie III résistera à un vote négatif montre bien comme le piège est déjà
presque refermé : même
majoritaires, les citoyens ne s’en sortiront pas si facilement. Il faudra encore lutter après le non pour sortir de ce guêpier. La seule raison de cette longueur
extravagante (448 articles) est la troisième partie, inutile d’en chercher
les raisons ailleurs. Intéressé par
votre approche quantitative, je suis allé chercher la constitution de l’Inde, un milliard d’individus, et j’ai
trouvé… 151 articles ;o) http://www.oefre.unibe.ch/law/icl/in00000_.html
Vous dites une
chose et son contraire : dans le paragraphe précédent, vous soulignez
que « l’essentiel » du TCE ne se compose que « de quelques pages seulement », et
quelques lignes plus loin, vous prétendez qu’un TCE pour 450 millions de
personnes « ne peut pas être
court »… Il faudrait savoir. En fait, c’est l’idée indécente
d’imposer une politique économique dans la Constitution de l’Europe qui rend
les compromis difficiles et les textes interminables et confus. |
Puisque les États européens
abandonnent des portions de leur souveraineté au profit de l’Union
européenne, il faut bien
que ces abandons soient explicitement définis. |
Il m’apparaît enfin que ce sont les États (ou plutôt
leur personnel politique) qui ne veulent pas de l’Europe et qui brident toutes les concessions de
souveraineté pour garder le contrôle. |
La Constitution européenne permet de clarifier les domaines de compétences entre les États
membres et l’Union européenne, en respectant le principe de subsidiarité
selon lequel les décisions doivent être au plus près des citoyens. |
« Clarifier »… Vous
plaisantez ? Les domaines de compétences respectifs entre l’Union et les
États membres (ÉM) ne peuvent pas être plus flous et fluctuants : pourvu que ce soit en conformité avec
"les objectifs de l’Union", il suffit à l’Union de décider
d’agir dans un domaine pour priver les ÉM du droit d’agir (art.
I-11.3 et I-11.4 subsidiarité et proportionnalité, et art. I-18 clause de
flexibilité !). Comme le résume le professeur de droit
public AM Pourhiet en fin de
démonstration : « il n’y a en réalité aucune borne
véritable aux interventions de l’Union ». Je ne crois
plus guère en ce principe de subsidiarité qui se veut protecteur mais dont
toutes les entorses futures sont d’ores et déjà rendues possibles, sans
contrôle prévu de la part des citoyens. On retrouve partout des chèques en blanc
et le mépris apparent de la volonté des peuples. |
Avec le souci didactique de
hiérarchiser les compétences de l’Union et de mettre au premier plan une préoccupation démocratique
et les droits des citoyens (en particulier sociaux), et faire rendre
les institutions plus efficaces, ce
traité fait avancer l’Europe politique. Une Europe plus fédérale pourra mieux
répondre aux aspirations du peuple européen. Avec des institutions européennes
plus fortes, il sera
aussi plus facile de réguler le marché, alors qu’une Europe sans Constitution risque de se résumer à un simple espace
de marché intérieur où seules les lois de l’économie et de la concurrence
décident. En comparaison avec les traités qui régissent jusqu’à présent l’Union
européenne, la Constitution proposée au référendum est certainement le texte le plus lisible
jamais produit sur les institutions européennes. Il est beaucoup plus lisible que le
traité de Nice, en particulier, qui restera en vigueur si la
Constitution n’est pas adoptée. |
Le fait que l’Europe actuelle ne
survive pas à la mise à l’écart de « l’acquis
communautaire » ne démontre pas que le chemin suivi depuis cinquante
ans soit le seul chemin possible, ni le meilleur. Je n’ai rien lu dans le TCE qui
permette d’étayer sérieusement ces affirmations générales. Bla. Toutes ces grandes annonces ne
correspondent pas à ce que je lis dans le TCE. Présenter comme outil de régulation du
marché le TCE qui institutionnalise la dérégulation, en remplaçant
précisément l’intervention des États par la loi du marché, c’est faire le
pari que nous n’avons pas lu le texte. Et bien, il n’y a pas de quoi être
fier. Qui
a signé « Nice le calamiteux » ? Les mêmes qui nous imposent
aujourd’hui le TCE en le présentant à nouveau comme indispensable et
urgent. Sont-ils crédibles ? Voilà une grande question. |
2.« Cette constitution grave dans le marbre le libéralisme » Si 95 des 98 syndicats de la Confédération européenne des Syndicats
(deux des opposants sont… français, FO et la CGT) se sont prononcés pour le « oui », tout comme la quasi
totalité des partis socialistes et des parti Verts d’Europe, c’est bien
qu’ils jugeaient de manière très claire que cette constitution mettait
l’Europe sur les bons rails pour bâtir l’Europe sociale, et permettrait
justement de changer de politique… Ou alors cela voudrait-il dire que tout ce
joli monde est devenu subitement adepte du libéralisme le plus
échevelé ? Rappelons quand même que le Royaume-Uni, la Pologne ou
l’Espagne du temps d’Aznar ont eu beaucoup de mal à signer cette Constitution…
parce qu’ils la jugeaient trop sociale et trop protectionniste ! Ce sont justement les acteurs sociaux et
syndicaux, et les élus du Parlement européen qui ont poussé à la rédaction de
cette Constitution pour améliorer les traités actuels trop libéraux.
Cette Constitution apporte enfin un rééquilibrage et des instruments pour
créer une Europe sociale. |
Argument moutonnier par excellence qui
voudrait peut-être nous dissuader le lire le texte. Je note que peu (aucun ?) de ces syndicats n’ont consulté leur base : on
est vraiment partout dans des logiques d’appareil qui négligent la
volonté des citoyens. Donc, rien de convainquant, vraiment. On m’a déjà fait le coup, exactement
le même, au moment de signer Maastricht :
« votez pour ce traité libéral, il contient les outils qui permettront
la lutte sociale, dès le lendemain du vote, je vous le promets » me
disait Jacques Delors avec ses yeux
tristes et sincères à qui on donnerait le bon dieu sans confession. On
connaît la suite : 13 ans de descente aux enfers du chômage organisé, du
chômage instrumentalisé. C’est
vrai que c’est commode le chômage : on n’a plus de revendications
salariales quand on a peur de perdre son boulot, on ne fait plus grève quand
il n’y a pas de boulot dehors, on n’exige plus de conditions sociales
particulières… Je suis sûr que le chômage (institutionnalisé par la
politique-indépendante-de-lutte-contre-l’inflation-de-la-BCE)
en arrange plus d’un. "Votez libéral, on deviendra plus
social demain", c’est promis. J’ai
déjà entendu cette musique pleine de fausses notes. |
Il est un peu facile pour
M. Chouard de dépeindre la Constitution européenne comme uniformément libérale
sans en citer un seul passage. C’est d’autant plus dommage que lorsqu’on lit
les valeurs sur lesquelles se fonde la Constitution européenne, on est loin
de cette caricature du libéralisme : article I-2 « L'Union est fondée sur
les valeurs de respect de la dignité
humaine, de liberté, de démocratie, d'égalité, de l'État de droit, ainsi
que de respect des droits de l'homme,
y compris des droits des personnes appartenant à des minorités. Ces valeurs
sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le
pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l'égalité entre les
femmes et les hommes. » article I-3.3 : « L'Union œuvre pour le
développement durable de l'Europe fondé sur une croissance économique équilibrée
et sur la stabilité des prix, une économie sociale de marché hautement
compétitive, qui tend au plein emploi
et au progrès social, et un niveau élevé de protection et d'amélioration de
la qualité de l'environnement. Elle promeut le progrès scientifique et
technique. Elle combat
l'exclusion sociale et les discriminations, et promeut la justice et la
protection sociales, l'égalité entre les femmes et les hommes, la
solidarité entre les générations et la protection des droits de l’enfant.
» article I-3.
4 :
« Dans ses relations avec le reste du monde, l'Union affirme et promeut
ses valeurs et ses intérêts. Elle
contribue à la paix, à la sécurité, au développement durable de la planète, à
la solidarité et au respect mutuel entre les peuples, au commerce libre et
équitable, à l'élimination de la pauvreté et à la protection des droits
de l'homme, en particulier ceux de l’enfant, ainsi qu'au strict respect et au
développement du droit international, notamment au respect des principes de
la charte des Nations unies. La constitution européenne
revendique il est vrai, explicitement, l’économie de marché : depuis la chute du
communisme, y a-t-il un seul État européen qui fonctionne sans économie de
marché ? Mais si, par libéralisme, on entend en revanche « laisser-faire »,
concurrence sauvage, dérégulation, la Constitution européenne n’est assurément
pas libérale. Au contraire. L’Europe est un espace politique unique où les gouvernants ont les
moyens (et même l’obligation constitutionnelle) de contrôler le marché mieux qu’ailleurs
dans le monde. |
De la même façon qu’il est facile de
ne mettre en avant que les beaux principes et les "valeurs" de la
partie I sans souligner qu’ils n’ont pas de force contraignante directe,
et que leur application ne se fera qu’à travers des décisions que la CJE
voudra bien rendre. Des
livres entiers ont été écrits pour dénoncer fortement cette
institutionnalisation du néolibéralisme… C’est vrai qu’il faut les lire pour
comprendre leurs arguments ;o) On peut citer quelques articles qui
portent en eux le néolibéralisme (le néolibéralisme pouvant se résumer à la
dépossession des États de leur moyens d’intervention économique au profit de
la liberté individuelle, qui débouche finalement invariablement sur la loi du
plus fort) : ·
Article I-3.2 "L'Union
offre à ses citoyens un espace de liberté, de sécurité et de justice sans
frontières intérieures, et un marché intérieur où, la concurrence est libre
et non faussée." ·
L’indépendance
de la BCE, c’est une dérégulation, c’est priver les États du levier
monétaire pour gouverner, c’est du libéralisme doctrinaire, à un degré unique
au monde. (Article
I-30 et III-188). ·
Un budget minuscule (1,27%) et l’impossibilité pour le Parlement d’augmenter ce budget (pas de
pouvoir parlementaire sur les recettes), c’est la garantie d’une Europe relativement pauvre donc peu interventionniste,
c’est néolibéral. ·
Article III-314 : L’Union
contribue (…) à la suppression
progressive des restrictions aux échanges internationaux et aux investissements étrangers directs,
ainsi qu'à la réduction des barrières
douanières et autres. · Article
III-148 : Les États membres s'efforcent de procéder à la
libéralisation des services au-delà de la mesure qui est obligatoire (…) si leur situation économique générale
et la situation du secteur intéressé le leur permettent. · Article
III-156 : les restrictions tant aux mouvements de capitaux qu'aux paiements entre les États membres
et entre les États membres et les pays tiers sont interdites. · Article III-167.1 : Sauf
dérogations prévues par la Constitution, sont incompatibles avec le marché intérieur, dans la mesure où elles affectent les échanges entre États membres,
les aides accordées par les
États membres ou au moyen de ressources d'État
sous quelque forme que ce soit qui faussent ou qui menacent de fausser la concurrence en favorisant
certaines entreprises ou certaines productions. · Article 178 : Les États membres et l'Union agissent dans le respect du principe d'une économie de
marché ouverte où la concurrence est libre, favorisant une allocation efficace des
ressources (…) · Le comble est atteint avec l’article
III-131 dont on se demande s’il faut en
rire ou en pleurer : en cas de guerre ou de tension
internationale grave constituant une menace de guerre… (c’est grave) …les États membres se consultent (jusque là, on est d’accord), en vue de prendre en
commun les dispositions nécessaires (ils font
bien…) pour
éviter que le fonctionnement du marché intérieur ne soit affecté par les
mesures qu'un État membre peut être appelé à prendre en cas de
troubles intérieurs graves affectant l'ordre public… |
La Constitution définit des règles strictes en matière
sociale, environnementale, et sanitaire ; mais aussi en matière
de lutte contre les discriminations, de diversité culturelle, et de cohésion
territoriale, etc. La Constitution (articles III-161 à III-169) permet aux États d’accorder des aides ou des
avantages particuliers, qui « faussent » pourtant la concurrence
pour préserver la diversité culturelle et la conservation du patrimoine,
lorsque la situation économique des États (ou de certaines régions) l’exige,
ou encore pour promouvoir la réalisation d’un projet important d’intérêt
européen. |
J’arrête les citations d’articles
parce que la partie III est simplement truffée de ce libéralisme qui suinte
partout et qui ligote les États membres. Chacun peut le constater en lisant
le texte. Le fait que des ultras extrémistes
outre-Manche réclament encore plus et rejettent ce traité parce qu’il n’est
pas assez libéral n’est pas la démonstration que le TCE n’est pas une bible
libérale. Chacun doit lire le texte et
constater le sort qu’on fait aux États et à leur pouvoir d’intervention. Comme le démontre bien Jacques Généreux (prof à Sciences Po), « au total, la prétendue Constitution
pour l’Europe nous promet une compétition toujours plus dure et une exposition croissante aux méfaits
sociaux et écologiques de la guerre économique. » Le libéralisme débridé, c’est le dogme
de la responsabilité individuelle, c’est "chacun pour soi et contre tous", la négation de la
civilisation et de l’humanisme. Le néolibéralisme doctrinaire est
juste aussi redoutable pour les hommes que le collectivisme aveugle. À propos, j’ai
trouvé la vraie définition de l’expression (trompeuse) « économie sociale de marché ». Frédéric Lordon rappelle fort opportunément la genèse de ce
vocable dans son passionnant document « Le
mensonge social de la Constitution », http://www.sociotoile.net/article104.html,
p. 8 et suiv., où l’on découvre que cette expression désigne un libéralisme
extrême, plus encore que celui d’Hayek
lui-même, et où le mot social n’a rigoureusement rien à voir avec ce que
les français y devinent. "Ce social là n’est que l’effet du marché lui-même et pas
autre chose, certainement pas une régulation qui lui serait adjointe de
l’extérieur."
|
La Constitution européenne
définit un cadre juridique protecteur des services publics
(article III-122), obligeant le législateur européen, mais aussi les gouvernements
nationaux, à respecter et à mettre en œuvre une série de principes (par
exemple le rôle des services publics en matière de « cohérence sociale
et territoriale », érigée en objectif de l’Union par l’article I-3),
garantissant les conditions économiques et financières des missions de
service public, reconnaissant le rôle des États membres dans la définition de
ces services. |
Alors là, pas
du tout. D’abord, il n’aura pas échappé à l’exégète attentif qu’est Bastien François
que l’expression « service public » est simplement absente du TCE,
qu’aucune définition des SIEG ne se trouve dans le texte, et que le seul document
(« livre blanc ») qui définit les expressions SIG et SIEG est émis
par la Commission (non élue), dans lequel il est spécifié expressément (pour
le moment) : « il convient
de souligner que les termes "service d'intérêt général" et
"service d'intérêt économique général" ne doivent pas être
confondus avec l'expression "service public", qui est moins
précise. » Si j’ai bien compris, d’après ce texte touffu, pour accéder à la
qualité de SIEG, il faut que n’existe pas la moindre concurrence dans ce
secteur et que ne soit pas demandée la moindre participation financière en
contrepartie. Sinon, s'il existe une alternative privée ou si la moindre
contrepartie financière est perçue par l'État, le service n'est pas un SIEG
et il faut l'exposer au grand vent de la concurrence, ce qui, le plus
souvent, tue le service public qui a besoin pour vivre d’être libéré de tout
objectif de profit. Raoul Marc
Jennar démontre rigoureusement le danger encouru par les services publics
sur son site www.urfig.org. Je suis surpris que la portée
d’un terme aussi important de ma Constitution (SIEG) dépende aussi
étroitement de l’interprétation (sibylline et fluctuante ?) d’un organe
non élu. En lisant le TCE, j’ai plutôt
l’impression d’une marche forcée vers
un État minimal où seuls quelques services publics jamais marchands
(comme la justice, la police ou l’armée) survivront
à la mise en concurrence sur le marché. Loin de protéger les services publics,
le TCE met en place les mécanismes qui permettent de détruire la plupart
d’entre eux, après avoir lutté pied à pied pour conserver les plus
importants. |
Sans l’aide de l’Union Européenne, la France n’aura pas, seule, les moyens
de réguler le marché, car nous nous pouvons pas renationaliser nos politiques économiques.
Or la Constitution nous fournit enfin les outils politiques et
institutionnels nécessaires pour mettre en place une vraie régulation
européenne et une politique économique de relance de l’emploi. Au final, tout dépendra de la couleur politique du Parlement européen
(et donc de la Commission qui doit en être issue) et du Conseil des
ministres
: la différence, c’est que s’il y a une majorité de gauche, elle pourra faire
une politique de gauche, ce qui est beaucoup plus difficile avec les traités
actuels. |
Tout le monde est d’accord pour
construire une Europe unie et forte. Mais les outils institutionnels
proposés avec le TCE sont plus dangereux que porteurs d’espoir. Promettre une politique de relance et
d’emploi, c’est cacher tous les verrous institutionnels qui interdisent
précisément à la fois toute politique monétaire, toute politique budgétaire,
toute politique industrielle, toute politique de protection ciblée… Les institutions européennes,
clairement, ne sont écrites ni par, ni pour les peuples. Mais alors pour qui ?
|
3.
« Cette constitution
n’est pas révisable » Le Traité établissant une Constitution pour l’Europe est établi pour une
durée indéterminée, mais c’est le cas aussi des traités européens existants ! M. Chouard nous dit que le
traité de Nice, lui, est « temporaire ». C’est faux ! Article
11 : le traité de Nice est établi pour une durée indéterminée. Il
disparaîtra en juin 2009… seulement si la Constitution européenne prend sa
place ! Sinon, il restera en place
sans aucune limitation de durée, alors que c’est un traité absolument dramatique pour notre
avenir : la démocratie européenne, au lieu d’être renforcée comme
dans la Constitution, est complètement amoindrie ; le processus de
décision, bien plus complexe
et opaque que la Constitution qui fixe des règles simples, contraint
l’Union à la paralysie ;
aucune garantie sur les droits sociaux n’est intégrée… |
Erreur de détail (très courante chez
les intervenants, même Delors à France Europe Express, paraît-il)
corrigée depuis longtemps. Ceux qui ont signé Nice
l’affreux, ce traité « absolument dramatique », celui
qui nous contraint à la « paralysie », selon vos propres
termes, sont précisément les mêmes qui nous imposent presque
aujourd’hui de dire Oui au TCE. Comment leur
faire confiance alors qu’ils n’avouent même pas s’être si gravement
trompés ? Ceux qui ont accepté
sans nous consulter que soient mis en place ad vitam aeternam des processus de décision « complexes et opaques » (ce n’est pas moi qui l’ai dit cette
fois :o) sont-ils fiables dans leur rôle de donneurs
de leçons ? Nous sommes des
dizaines de millions à penser le contraire… |
Il faut le dire et le
redire : voter « non » à la Constitution et à toutes les
avancées qu’elle comporte, c’est dire « oui » à l’Europe telle
qu’elle existe aujourd’hui et qui, sous l’effet de son élargissement, risque
de n’être plus qu’un simple marché libre européen. |
Pas
du tout : voter Non, c’est dire « Vous nous égarez depuis trop longtemps sans nous demander
notre avis, et nous commençons enfin aujourd’hui à changer de chemin. Et il y a du travail parce que vous nous
avez mis dans un sacré pétrin… » |
Le TCE est difficile à
réviser mais bien plus facilement que ce que prévoient que les traités
existants ! Pour la première fois, des clauses de révision simplifiée sont
mises en place (article IV-444 et 445), qui permettent d’aller plus vite et
ne nécessitent pas de double unanimité (l’unanimité du Conseil européen
suffit). Des clauses passerelles
permettent de modifier plus facilement la partie III du traité, en faisant
passer des domaines de décision du vote à l’unanimité au vote à la majorité
du Conseil des ministres. Cela signifie concrètement qu’à l’avenir, on
pourrait par exemple envisager d’avoir une fiscalité européenne, votée à la
majorité, permettant enfin une vraie politique européenne pour relancer
l’emploi, et cela sans avoir à passer à une très lourde procédure de révision
de la Constitution. Lorsque ces changements sont plus importants, une nouvelle Convention
se réunit (comportant des parlementaires nationaux, des parlementaires
européens, des représentants des gouvernements) pour faire des
propositions : c’est
quand même bien mieux d’avoir des modifications élaborées par des
représentants élus (comme l’a été cette Constitution, à la différence de tous
les traités précédents) que
par des diplomates ! D’autre part, si 4/5 des États (20 sur 25)
ratifient ces modifications constitutionnelles, le texte prévoit de rechercher
des solutions adéquates pour ceux qui ne l’auraient pas fait. Enfin, le Parlement européen acquiert par
cette Constitution le droit d’initiative constitutionnelle ; il peut donc
lui-même proposer des modifications. Rappelons pour finir que si la
Constitution était refusée, nous en reviendrions au Traité de Nice, qui lui,
ne peut se modifier qu’à l’unanimité, sans intervention possible du Parlement
européen. |
J’ai déjà dit tout le mal que je
pensais de ces clauses qui permettent de réviser ma Constitution sans mon
accord explicite et direct. Outre que ces
promesses d’une « fiscalité européenne » n’engagent personne à rien
et paraissent politiquement improbables, (voir la réponse complète de JJ Chavigné
sur ce point, sur mon site), cette perspective de révision constitutionnelle
sans l’aval des peuples (clauses passerelles) fait du vote Oui un vrai chèque en blanc signé à des organes non responsables. Si une clause passerelle permet, sur un sujet donné, de
passer de l’unanimité à la majorité, c’est la protection d’un droit de veto
qui disparaît (sans consultation populaire), et l’engagement initial qui
est transformé sans l’accord de toutes les parties. De la part d’un éminent juriste, le
conseil appuyé de signer un texte aussi dangereux, aussi peu respectueux de
la volonté des parties, est étonnant. Ceci ressemble à un chantage à la
peste pour nous obliger à accepter le choléra. |
Autre grave erreur juridique, il est tout simplement faux de dire que le moindre règlement européen l’emportera
dorénavant sur la Constitution française. M. Chouard ignore visiblement
la notion de « hiérarchie des normes » : un règlement européen
est « inférieur » à la Constitution française et ne peut donc
l’emporter. M. Chouard ignore également que depuis les années 60 la Cour de
justice européenne a imposé l’idée que les normes européennes l’emportent sur
les normes nationales de même valeur.
La loi européenne est effectivement supérieure à la loi française. Mais la
Constitution européenne ne change rien à cela ! Les tribunaux français
(Cour de cassation et Conseil d’État) appliquent cela tous les jours !
S’agissant de la Constitution européenne, elle est effectivement supérieure à
la Constitution française. Mais, et la restriction est essentielle, sous
réserve que le constituant français l’accepte. C’est ainsi que début 2005,
suite à une décision du Conseil constitutionnel, députés et sénateurs ont
modifié la Constitution française pour permettre la ratification de la
Constitution européenne. Sans cela, cette ratification aurait été impossible.
|
En fait de « grave erreur
juridique », Monsieur Bastien François ferait mieux
d’être prudent de peur de tomber du haut de sa chaire de Faculté, car
d’autres professeurs de l’Université, et non des moindres,
contredisent fortement sa thèse, ce qui montre bien que l’erreur n’est
peut-être pas là où il pense. Je développe
et j’étaie ce point dans la version actuelle de mon texte. J’y renvoie donc
pour ne pas trop me répéter. On lira ainsi avec intérêt le travail
d’Armel Pécheul, professeur
constitutionnaliste à l’Université d’Angers, qui a écrit un article intitulé « la primauté du droit communautaire
sur la Constitution française : l’abrogation implicite de la Constitution »
(voir mes pages Bibliographie et Avertissements, à : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/index.htm). On y découvre,
par exemple (p. 54), l’arrêt Tanja
Kreil du 11 janvier 2000 (CJCE, aff. C-285/98, Rec. I, p. 69) où une simple directive du Conseil de 1976
s’est imposée à des dispositions spécifiques et expresses de la Constitution
allemande (article 12) et dans un domaine qui n’était pas communautarisé
puisqu’il s’agissait du domaine de la défense. Je cite Armel Pécheul, dans sa conclusion d’un argumentaire rigoureux : « l’essence
de la Constitution française, l’ADN, les dispositions spécifiques et expresses,
les dispositions inhérentes à sa structure fondamentale ne sont plus
protégées par le gardien de la Constitution [le Conseil Constitutionnel].
Celui-ci en a donné les clefs aux juges européens. Elles ne dépendent pas
plus du pouvoir constituant puisque le peuple français est appelé à confirmer
cet abandon par la ratification du Traité. Alors oui, l’essentiel est bien
remis en cause, c’est-à-dire comme le dit le Président Mazeaud l’existence
même de la Constitution française. » |
Ajoutons encore que la
Constitution européenne n’a de valeur supérieure dans la hiérarchie des
normes que dans les limites strictes des
attributions de l’Union européennes. Ainsi, l’interprétation de la
charte des droits fondamentaux doit se faire, comme il est explicitement
indiqué, dans le respect des traditions constitutionnelles nationales. |
Monsieur François prend
peut-être ses rêves pour des réalités : les attributions de l’Union
n’ont pas de limite fixe, et surtout pas strictes, c’est précisément un problème
majeur du TCE. |
Sur
la question turque… Ce n’est pas
très honnête de parler de la question turque à l’occasion du référendum sur
la Constitution : cela s’appelle jouer sur des peurs… Sans entrer dans le
débat de fond sur l’adhésion ou non de la Turquie, rappelons quand même qu’il faut l’unanimité des 25 États pour
que l’entrée soit validée, et que le président de la République a fait
inscrire dans la Constitution française le principe intangible d’un
référendum pour toute nouvelle adhésion. Le peuple français sera donc
inévitablement consulté le moment venu… |
|
4.
« Cette constitution
empêche la séparation des pouvoirs, garantie contre l’arbitraire » Au contraire
de tout ce qui est dit par M. Chouard, la
Constitution européenne jette au contraire les bases d’une Europe réellement
démocratique, offrant au citoyen non seulement une lisibilité politique plus
grande, mais aussi les
plus hauts standards au monde contre toute forme d’arbitraire. Ainsi : -
Le « triangle
institutionnel » européen est clarifié : il y a deux chambres parlementaires
(le Parlement européen et le
Conseil des ministres, comme
il y a en France l’Assemblée nationale et le
Sénat), et un exécutif, la Commission européenne qui doit être issue
de la majorité politique du Parlement européen et est responsable devant lui. |
Bla. Le professeur François a oublié
à quoi sert la séparation des pouvoirs et croit pouvoir nous en priver sans que
nous réagissions : il ne faut pas
que le même homme fasse le droit et l’applique : ce ministre qui siège dans ce pseudo Sénat, une fois le droit
européen écrit par lui, revient dans son
pays, et fait appliquer lui-même ces normes qu’il a élaborées, automatiquement
transposées dans son droit national. C’est évidemment une confusion des pouvoirs. Qui ne voit pas la supercherie qui
consiste à qualifier « seconde chambre parlementaire » un groupe
composé de membres des exécutifs nationaux dont aucun n’est élu ? Ce qui est clarifié, c’est
l’irresponsabilité politique de fait qui naît de cette organisation tant sera
difficile la mise en œuvre d’une censure par les citoyens ou leurs représentants. |
-
Les pouvoirs du Parlement européen sont considérablement renforcés. Jusqu’ici, le Parlement européen n’était bien souvent que
« consulté ». Avec cette Constitution, le principe de la
co-décision (les deux chambres parlementaires acquièrent le même pouvoir)
devient la norme. Le Parlement acquiert des pouvoirs énormes :
budgétaires, contrôle de la politique agricole commune (47% du budget de
l’UE !), contrôle des politiques d’asile et d’immigration, de justice,
etc. Non seulement c’est le Parlement
qui élit le
président de la Commission, qui peut refuser des commissaires après audition
(peut-on auditionner et refuser des ministres en France avant leur
nomination ?),
|
Des pouvoirs « considérablement
renforcés », qui partent de pas grand-chose, et qui présentent donc
encore des lacunes rigoureusement inacceptables : Pas d’initiative des lois, aucun pouvoir sur les recettes
du budget, je trouve ça juste inadmissible. Enfin, c’est mon point de vue
de citoyen. Codécision avec l’exécutif : ça me
semble aberrant. Codécision pour éviter les abus de pouvoir parlementaires,
oui : parlez-moi d’une seconde chambre qui représenterait les
parlements nationaux ou les régions, d’accord. Mais un conseil des ministres pour écrire
le droit… Pour un juriste normalement constitué, c’est un cauchemar. Le Parlement européen est limité, surveillé,
ligoté. Au lieu de créer le droit lui-même, il est réduit à dire oui ou non à des règles créées
par d’autres. La Commission que le Parlement peut censurer n’est qu’un
écran, un fusible politique, elle n’est pas le siège du pouvoir, vous
l’avez affirmé vous-même tout à l’heure. Ce pouvoir de censure est donc un
leurre. En plus, la censure ne
concerne que la gestion de la Commission (article III-340), ce qui exclut le contrôle politique,
non ? Ou bien c’est peut-être encore la CJE qui va décider cela ?
Au fait, vous trouvez vraiment ce texte lisible ? Mais surtout,
Monsieur François, pourquoi ne
dites-vous rien de ces mystérieux domaines soustraits au contrôle
parlementaire, domaines économiques où l’exécutif, cette fois, fait le droit
tout seul, sans contrôle ? Pourquoi ne pas nous faire un petit cours
de droit public et nous expliquer d’abord pourquoi ces domaines-là, puis
pourquoi cette procédure « spéciale », puis pourquoi cette absence
de liste claire et critiquable ? |
Quant à l’impossibilité de
renverser le Conseil des ministres, heureusement qu’il en est ainsi : a t-on
jamais vu l’Assemblée nationale renverser le Sénat ? Il s’agit là
d’une grossière
aberration juridique… |
La
grossière aberration juridique n’est pas où vous pensez :o) Ce refus d’envisager honnêtement
l’irresponsabilité de fait du Conseil des Ministres au niveau européen
est assez frappant. |
-
Les citoyens pourront bien
mieux contrôler la politique européenne de leurs gouvernements nationaux, puisque les
délibérations et les votes du Conseil des ministres, jusqu’ici à huis clos (ce qui signifiait une irresponsabilité
politique de fait des ministres), seront désormais publics : il ne sera plus possible d’accepter
en douce à Bruxelles la libéralisation de tel ou tel secteur et de revenir à
Paris dénoncer l’Europe technocratique et libérale. Les gouvernements
devront assumer leurs choix. |
Chacun
appréciera cet aveu public des
mœurs actuelles en vigueur en Europe et de « l’irresponsabilité politique de fait des ministres »
(je ne suis donc plus le seul à le dire, Monsieur Bastien François me prend les mots de la bouche :o) sous
l’empire du traité de Nice. Monsieur Bastien François nous
donne même explicitement la magouille quotidienne qui sous-tend les
institutions européennes (« accepter
en douce à Bruxelles la libéralisation de tel ou tel secteur et de revenir à
Paris dénoncer l’Europe technocratique et libérale ») présentées
comme faisant partie des « plus hauts standards au monde contre toute
forme d’arbitraire » (sic). Il faudra se
souvenir de ceux qui ont signé ce
traité de Nice et peut-être se méfier
un peu s’ils nous en proposent un autre, fut-ce avec insistance :o) |
-
Les parlements nationaux
seront désormais intégrés au jeu européen : la Commission doit
désormais saisir en amont les Parlements nationaux d’un projet de loi européenne :
si un tiers de ceux-ci s’opposent au projet, la Commission devra revoir sa copie. Il s’agit
encore ici d’un moyen politique de contrôler les lois européennes. Et surtout
de faire appliquer un principe essentiel : la subsidiarité, c’est-à-dire
l’idée simple que l’action politique doit s’effectuer au niveau le plus pertinent,
et en particulier au plus près des citoyens. L’article I-11 dispose ainsi
que, dans les domaines où elle intervient de conserve avec les États membres,
l’Union européenne « intervient seulement si, et dans la mesure où, les
objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être atteints de manière
suffisante par les États membres, tant au niveau central qu’au niveau
régional et local, mais peuvent l’être mieux, en raison des dimensions ou des
effets de l’action envisagée, au niveau de l’Europe ». Désormais, et
c’est une innovation
considérable, les Parlements nationaux (obligatoirement informés de
tous les projets législatifs
européens qui doivent être, en outre, motivés sur leur application du
principe de subsidiarité) peuvent contester la nécessité d’une loi
européenne, obliger la Commission européenne à se justifier, et même saisir
la Cour de justice en cas de désaccord avec la Commission sur l’application
de ce principe. |
Tiens, voilà une procédure dont on ne
nous donne que le début, apparemment démocratique. Ce qui n’est pas souligné ici avec
suffisamment de force, c’est qu’en cas de litige entre la Commission (non élue)
et le Parlement (élu) , c’est la CJE (non élue et complètement
dépendante des exécutifs qu’elle est censée juger impartialement) qui
tranchera. Chacun appréciera le poids ainsi
donné à la légitimité issue du suffrage universel direct en balance avec
les technostructures hors de contrôle. Je repense en souriant à l’expression
de Monsieur François : « parmi les plus hauts standards au monde contre
toute forme d’arbitraire » :o) On peut aussi
objecter, et c’est loin d’être un détail, qu’il n’y a, à ce jour, aucun mécanisme de concertation
des Parlements nationaux entre eux. |
-
Une initiative législative
citoyenne est instaurée : la Commission peut transmettre aux chambres
européennes une proposition de loi citoyenne ayant recueillie un million de
signatures au moins dans l’UE. L’intérêt majeur de cette disposition est de
pouvoir structurer des revendications communes à l’échelle européenne : qui peut croire que les institutions
européennes pourront refuser d’examiner une proposition ayant reçu plusieurs
dizaines de millions de signatures ? |
Qui peut croire ce boniment selon
lequel un article de Constitution explicitement
limité et non contraignant va ajouter quoi que ce soit d’important à la
force politique de millions de pétitionnaires ? Ce n’est pas l’article
qui donne leur force politique aux pétitionnaires. Même sans cet
article-miroir-aux-alouettes, des millions de pétitionnaires auront une
force, mais une force limitée car, en droit, la Comm;ission fait ce qu’elle
veut, et elle n’a même pas l’obligation de motiver sa décision de rejet.
|
-
Les droits de la personne,
grâce à la Charte des droits fondamentaux insérée dans la Constitution et à
l’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’Homme,
acquièrent une force
juridique considérable ! Il est proprement incroyable de nier les avancées en la
matière dans cette Constitution ! De plus, n’importe quel
citoyen pourrait désormais saisir la Cour de Justice européenne, alors
qu’auparavant, seules des institutions étatiques ou européennes pouvaient le
faire. |
J’ai l’embarras du choix pour citer de
grands constitutionnalistes qui crient à l’imposture
avec des droits en retrait, des reformulations hypocrites (comme le
droit au travail qui devient le droit de chercher du travail), une limitation
au seul droit européen, des textes complémentaires cachés au fin fond des derniers
protocoles et déclarations pour dire finalement, par exemple, que le droit
à la vie ne vaut plus rien en cas de manifestation ou d’émeute (sic), ou
que la liberté de circuler ne vaut pas pour les alcooliques, les
toxicomanes et les vagabonds. Lire attentivement la Déclaration n°12 qui donne les explications du Praesidium de la Convention Giscard (explications citées
dans le préambule de la Charte comme référence officielle d’interprétation de
toute la partie II, renforçant encore ainsi l’usurpation du pouvoir de ce
« Praesidium » décidément
bien peu démocratique) : articles 2.3.C, et 6.1.e, pages 434 et
437. (Vous avez dit
« lisible » ?) Par ailleurs, nous sommes déjà
protégés au niveau national par des droits fondamentaux plus nombreux et plus
forts que ceux de la Charte, et qui n’empêchent nullement la précarité,
l’indigence et autres indignités quotidiennes Avec
cette expression « force juridique considérable », vous exagérez ce
qu’on peut attendre de cette Charte. |
Il est donc parfaitement irresponsable
de parler de « recul
du contrôle parlementaire », alors qu’il augmente considérablement, |
Qui est parfaitement
irresponsable ? Il augmente par rapport à quoi ?
Par rapport au contrôle parlementaire européen qui était presque
inexistant ? Peut-être (encore que personne d’important n’est encore
responsable, ce qui rend le contrôle très théorique). Mais par rapport au contrôle parlementaire
national des exécutifs nationaux ? Le contrôle recule. |
et d’évoquer même qu’il s’agit là « d’une
juste cause d’émeute » ! |
Ah, il ne faut pas mentir : je
n’ai pas parlé de juste cause d’émeute à propos du recul du contrôle
parlementaire, mais à propos de la ratification
du TCE sans consultation directe des peuples. Et que reste-t-il au peuple, Monsieur François, professeur de droit public,
quand ses propres représentants lui volent sa souveraineté pour la confier à
des institutions non démocratiques qu’il n’a ni demandées, ni connues, ni
voulues, ni approuvées, contre lesquelles il ne peut pas résister et qu’il ne
pourra pas modifier ? À quoi sert le droit constitutionnel, Monsieur François, si ce n’est pas précisément pour protéger les peuples contre des
institutions dangereuses ? À quoi servons-nous,
professeurs de droit, si nous ne sommes même pas capables de rappeler aux
citoyens ces principes révolutionnaires qui nous ont permis de sortir de
l’absolutisme ? Que reste-t-il, hors l’émeute, aux
Allemands, aux Belges, aux Italiens, (et j’en passe : ils sont 16 sur 25 à n’être pas
consultés !) pour résister,
s’ils tiennent à leur démocratie ? En fait, vous
avez raison : il leur reste une
solution (une seule) pour éviter l’émeute… |
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Ce que vous dites-là ne repose sur
rien de tangible. Au contraire, à la faveur de la construction européenne,
les exécutifs nationaux ont bâti un système d’écrans politiques qui
rend plus difficile (impossible ?) la mise en jeu effective de leur
responsabilité politique. L’épisode de la Commission Santer (presque censurée en 1999 pour
fraudes et népotisme) n’a rien à voir avec la responsabilité politique. |
Réservons nos
« émeutes » à de plus justes causes… |
C’est
vous qui décidez si telle cause est juste ou pas ? À quel titre ?
Les citoyens de base doivent-ils vous demander une autorisation pour penser ? Vous semblez avoir oublié le droit des peuples à disposer
d’eux-mêmes. |
5. « Cette Constitution n’a pas été élaborée démocratiquement faute
de l’existence d’une assemblée constituante ad hoc » Au
contraire, la Constitution européenne
a été préparée par une Convention européenne, comptant 72 élus (sur 105
membres) élus du suffrage universel direct. La
Convention a rassemblé les principales parties prenantes au débat sur
l'avenir de l'Union. Outre son Président et ses deux Vice-Présidents, elle
était composée de : -
30
représentants des parlements nationaux
des États membres (2 par État membre) ; - 26 représentants des parlements nationaux des pays candidats à l'adhésion (2 par pays
candidat) ; - 16 représentants membres du Parlement
européen ; - 15 représentants des chefs d'État ou de gouvernement des États
membres (1 par État membre) ; - 13 représentants des chefs d'État et de gouvernement des pays
candidats à l'adhésion (1 par pays candidat) ; - 2 représentants de la Commission européenne. On rappellera ici que la
République a définitivement été installée en France dans le cadre de lois constitutionnelles adoptées
en 1875 dans la plus grande ambiguïté, sans même une ratification populaire.
Que la Constitution de la Ve
République a été rédigée en secret, après une mise à l’écart brutale des
représentants élus, même si, ensuite, elle a été soumise à référendum.
Il est bien sûr possible de déplorer cela, dans un monde où la démocratie se
veut, de surcroît, de plus en plus participative. Mais était-il possible de faire
autrement ? À problème inédit, il fallait en fait une solution inédite : une
Convention européenne réunissant 105 membres issus des 25 Parlements
nationaux, du Parlement européen et des 25 gouvernements. Une instance représentative, bien
plus que les obscurs conclaves diplomatiques, de la diversité des opinions
européennes. Il en a résulté une
forme de miracle politique : un texte « constitutionnel »,
certes critiquable en dépit d’une grande inventivité institutionnelle, mais pour une fois
à la hauteur de l’enjeu ; un texte qui préserve la place des États mais
qui proclame dans le même temps la souveraineté des citoyens d’Europe, et qui
donne une impulsion déterminante à la construction européenne tant en matière
démocratique qu’en termes d’efficacité et de clarté gouvernantes. Pour la première fois, un traité européen
ressemble à une
constitution. Pour la première fois, il ne s’agit plus d’un énième rapport de
« sages », vite rangé dans un placard, mais d’un texte élaboré par une assemblée politique
dont le caractère d’ouverture démocratique est sans commune mesure avec
celui des négociations inter-étatiques. Pour
la première fois également une constitution a été élaborée dans une telle transparence,
l’ensemble des délibérations et des contributions écrites étant immédiatement
accessible à toute personne intéressée sur le site Internet de la Convention
(qui a été visité par près de 700.000 personnes pendant la durée de la
Convention), et chacun pouvant intervenir dans le cadre d’un « forum électronique »
(www.europa.eu.int/futurum/).
Et ce résultat inespéré est bien dû à la méthode choisie : réunir un
collège réduit d’hommes politiques européens, de tous bords et de toutes
origines géographiques, leur donner une obligation de résultat dans un temps
donné, dans la publicité. |
Ni les parlementaires, ni les membres des gouvernements ne
sont propriétaires de la souveraineté populaire. Ils ne sont absolument pas habilités, même réunis en grand
conclave clinquant, à en disposer. Cette liste est inutile : en
droit, c’est le mandat populaire qui intronise le pouvoir constituant, pas la
compétence des membres réunis. N’est-ce pas « une grave erreur juridique » de l’oublier ou de le
négliger ? :o) Allez, ce n’est pas grave : tout
le monde en commet, des erreurs… Il faut simplement en profiter pour
progresser, sereinement.
D’où viendrait qu’une forfaiture
ancienne puisse en légitimer une nouvelle ? C’est ce qu’on apprend en fac de droit
aujourd’hui ? Si ce sont d’authentiques démocrates
qui sont aux manettes, assurément : il est possible de faire autrement.
Démocratie et place des peuples des
plus contestées, comme on l’a vu.
Le respect le plus élémentaire des peuples concernés aurait
consisté à leur demander leur avis avant. Au lieu de cela, on ne consultera
honnêtement que 9 pays sur 25 (et
encore : certains référendums sont consultatifs)… La langue de bois politicienne qui
prétend construire une démocratie ne résiste pas à l’analyse du texte. |
CONCLUSION Vous l’aurez certainement compris à la lecture de ces réponses,
au-delà des corrections à de grossières erreurs juridiques, mon cœur comme ma raison
m’orientent vers un vote OUI au référendum du 29 mai. N’y voyez pas là
une quelconque admiration de « technicien » du droit pour une belle
architecture institutionnelle. C’est bien parce que je suis persuadé que
cette Constitution peut enfin permettre de sortir l’Europe de l’ornière économique
dans laquelle elle s’est embourbée pour créer enfin une vraie démocratie
continentale que j’appelle à voter « oui » ; c’est bien parce
que l’Europe reconnaît enfin une place aux droits sociaux et aux services
publics qu’il faut valider ce traité. Sans cette constitution, l’avenir est
connu : l’Europe sera pour longtemps un simple espace de libre-échange
où règneront en maître les multinationales et les lobbies économiques, sans
que le politique, sans que les citoyens, aient leur mot à dire. Ne nous
trompons pas de combat : comme l’immense majorité des forces de gauche
en Europe, soutenons ce traité constitutionnel. |
Ma
conclusion à moi :o) Vous l’aurez sans doute deviné, je maintiens
donc que le droit sert à protéger les hommes, pas à les museler : avec
ce TCE, la force politique des citoyens européens devient complètement
théorique. Un rôle essentiel des professeurs de
droit, comme des journalistes, est donc de rappeler l’importance des mécanismes qui rendent les institutions peu dangereuses
par l’existence de contre-pouvoirs et de mise en jeu réelle des responsabilités
de chaque organe institutionnel. Certains me disent que "je vois
le mal partout"… Il se trouve que
le rôle des juristes est précisément de prévoir le pire pour éviter des
conséquences fâcheuses s’il survient. Celui qui rédige un pacte en pariant
que tout va bien se passer risque fort d’être cruellement déçu. Le Oui semble résigné :
dire Oui, c’est continuer à laisser "les autres" décider
sans contrôle, en confiance, et laisser perdre, cette fois volontairement,
les moyens de résister et de se protéger. Le Non
est plus volontaire : dire Non, c’est décider d’arrêter de se
laisser faire, c’est saisir l’opportunité historique qui nous est offerte de
donner notre avis de citoyens sur la dérive néolibérale et
"post-démocratique" de l’Europe, c’est commencer à changer, c’est
la seule façon de rendre possible, un peu plus tard sans doute, une Europe
vraiment démocratique. Étienne Chouard. |