Présentation de Maurice ALLAIS
(né en France en 1911), NOBEL 1988

Il est né le 31 mai 1911 à Paris, ses parents sont de petits commerçants. De 1931 à 1933, il fit ses études à l’École polytechnique, sortant major de sa promotion. Il continua ses études à l’École nationale supérieure des mines de Paris jusqu’en 1936. Après 1937, il travailla à l’administration nationale française des mines. Il fut ingénieur des mines à Nantes de 1937 à 1948, le bureau de documentation minière. En 1944, il fut nommé professeur d’analyse économique à l’École nationale supérieure des mines et en dirigea l’institut de recherche économique. En 1954, il fut en outre nomme directeur de recherche au CNRS. À côté de ses activités de professeur, Maurice Allais a effectué de nombreux travaux pour l’administration française. Il a été le premier économiste à recevoir en 1978 la Médaille d’or du CNRS. En 1977, il a été nomme officier de la Légion d’honneur.

Mais c’est lors d’un voyage aux États-Unis pendant la dépression, en 1933, et l'observation des troubles sociaux en France après les élections de 1936, qui l'ont amené à se tourner vers l'économie, qui doit « chercher à établir les fondations sur lesquelles une politique économique et sociale pourrait être valablement édifiée ». Il va appartenir à la tradition des ingénieurs-économistes qui ont fortement influencé l'économie française, surtout dans les années 60.

En 1988, le prix de la banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel lui est décerné pour ses travaux théoriques sur les marchés et l'allocation optimale des ressources.

Sa pensée. Convaincu qu’il est possible de trouver dans l'économie les mêmes régularités que dans les sciences physiques, il se propose de reconstruire la science économique moderne sur des bases plus réalistes et plus rigoureuses. Il a tenté de construire un modèle d'analyse global. Résolument libéral, disciple de Léon Walras et de Vilfredo Pareto, il est connu pour sa reformulation de la théorie de l'équilibre général. Pour lui, une situation d'efficacité maximale de l'économie se définit par une situation d'équilibre du marché. Il a recours dans ce cadre à la notion d'économie du bien-être, qui vient de Pareto, afin de montrer que les fins éthiques ne sont pas antinomiques à la recherche d'efficacité.

En 1947, il publie "Économie et intérêt" (réédité en 1998 par les éditions Clément-Juglar) livre qui traite du problème de l'intérêt. Il n'y perd jamais de vue les deux faces inséparables de l'intérêt : le montant qu'un prêteur doit recevoir pour renoncer à la liquidité que lui procure la monnaie, le prix que prennent en compte investisseurs et épargnants pour déterminer leur demande et leur offre de capital. Et, à partir de cette base, il étudie les processus capitalistiques de production, la théorie de l'optimum de Pareto, la théorie de l'optimum capitalistique correspondant à la répartition optimale des facteurs de production entre leur utilisation directe et leur utilisation indirecte.

Par ailleurs, il a montré que certaines productions, en raison de très importants coûts fixes, connaissent des rendements croissants. C’est le cas pour l’électricité car dans ce secteur, quand les infrastructures ont été installées, le coût marginal décroît. Marcel BOITEUX, président d’ÉDF préconisa une tarification au coût marginal.

Il considère que la planification économique peut également être un élément conduisant à une situation d'équilibre et d'efficacité maximale. De même, il prend conscience dans les années 1966-1967, au regard de l'observation empirique de l'économie, des limites de l'hypothèse de l'équilibre général. Pour les dépasser, il a recours à la notion de surplus et est d'ailleurs à l'origine de la théorie générale des surplus.

Ses idées, notamment sur la croissance, ont souvent été reprises par d'autres. Ainsi, il a introduit la « règle d'or », attribuée à Phelps, qui postule que le taux d'intérêt réel le plus favorable est celui qui se rapproche le plus du taux de croissance. Il a également démontré l'existence d'une situation de « maximum maximorum », assurant l'existence d'un revenu réel maximum par habitant pour un régime permanent de croissance. Dans son ouvrage « Économie et intérêt », il a introduit la notion de prise en compte des générations futures dans la détermination de l'optimum économique. Enfin, il a apporté sa contribution à la théorie du risque en analysant le comportement des agents économiques ayant à choisir entre différents risques. Un des exemples qu'il utilise est resté célèbre sous le nom de « paradoxe d'Allais ». Il montre que le choix rationnel n'est pas forcément celui qui offre la plus forte probabilité de gain, car le choix tient compte des comportements des autres agents économiques. Il est ainsi à l'origine d'un courant de recherche qui a pour ambition de modéliser le choix rationnel en situation d'incertitude.

Il a aussi défendu l’idée que "l’indexation générale de toutes les dettes en valeur réelle" est une condition de l’équité mais aussi de l’efficacité. Ce n’est que si le prêteur est assuré de ne pas être spolié par l’inflation et donc de retrouver la valeur réelle de son capital que les taux d’intérêt seront faibles.

Maurice Allais pense, par ailleurs, que l’exubérance des marchés financiers est due à une création intempestive de monnaie tant de la part des autorités monétaires que des banques commerciales et que sans une vigoureuse réforme du système bancaire, la crise financière est certaine (1999). À la fin de sa vie, il milite contre la mondialisation des échanges et il s’est opposé au traité constitutionnel en 2005.

 

 

Le site de Maurice Allais : http://allais.maurice.free.fr

Curriculum Vitae : http://nobelprize.org/nobel_prizes/economics/laureates/1988/allais-cv.html

Ses écrits :

1943 :   « À la recherche d’une discipline économique, première partie : L’économie pure », à compte d’auteur puis, en 1952, Imprimerie nationale, Éditions subséquentes sous le titre « Traité d'économie pure »,. éd. Clément-Juglar, 1994

1947 :   « Économie et intérêt », 2ème édition. En 1998, éd. Clément-Juglar

1953 :    « Fondements d'une théorie positive des choix comportant un risque et critique des postulats et axiomes de l'école américaine », Économétrie, vol. 40., coll. des Colloques internationaux du CNRS

1954 :    « Les fondements comptables de la macroéconomie », éd. PUF

1959 :    « L’Europe unie : route de la prospérité », éd. Calmann-Lévy

1960 :    « Les aspects essentiels de la politique de l’énergie », éd. Imprimerie nationale

1965 :    « Reformulation de la théorie quantitative de la monnaie », éd. Sedeis

1967 :    « Les fondements du calcul économique », éd. École nationale supérieure des mines

1971 :    « La libéralisation des relations économiques internationales », éd. Gauthier-Villars

1976 :   « L’impôt sur le capital et la réforme monétaire », éd. Hermann

1978 :    « La théorie générale des surplus », Presses universitaires de Grenoble, 1989

1989 :    « Les conditions monétaires d’une économie de marché », éd. Montchrétien

1990 :   « Pour l’indexation » et « Pour la réforme de la fiscalité », éd. Clément-Juglar

1991 :    « L’Europe face à son avenir », éd. Robert Laffont

1992 :    « Erreurs et impasses de la construction européenne », éd. Clément-Juglar

1994 :    « Combats pour l’Europe : 1992-1994 », éd. Clément-Juglar

1999 :   « La crise mondiale d’aujourd’hui », éd. Clément-Juglar.

1999 :    « La mondialisation : la destruction des emplois et de la croissance », éd. Clément-Juglar

2001 :    « Fondements de la dynamique monétaire », éd. Clément-Juglar

2002 :   « Nouveaux combats pour l’Europe : 1995-2002 », éd. Clément-Juglar

2006 :   « l’Europe en crise, que faire ? », éd. Clément-Juglar

 

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Le texte suivant est extrait d’un article de Gilles Dostaler dans Alternatives Économiques (n°252 de novembre 2006).

La pensée économique des années 30 et 40 est marquée par trois transformations majeures. Il y a bien sûr la révolution keynésienne, dont Keynes n'est du reste pas l'unique auteur. La croyance dans la régulation automatique des marchés, assurant le plein-emploi si aucun obstacle ne freine cette régulation, s'estompe et l'État-providence et interventionniste se met en place. Une deuxième révolution, d'ordre en partie méthodologique, est menée, entre autres, par John Hicks (Valeur et capital, 1939) et Paul Samuelson (« Les fondements de l’analyse économique », 1947). Ces auteurs formalisent l'autorégulation des marchés que Keynes remettait en question tout en reprenant certaines de ses de ses idées. C'est ainsi que naît la synthèse néoclassique, qui dominera la pensée économique pendant les trente premières années de l'après-guerre. En troisième lieu, l'économie, dans laquelle la langue française avait déjà occupé une place importante, devient une science essentiellement anglo-saxonne et états-unienne.

En rédigeant, entra janvier 1941 et juillet 1943, un ouvrage de près de mille pages qu'il intitule d'abord « À la recherche d'une discipline économique, première partie: L'économie pure », dont le titre sera changé dans les éditions ultérieures pour « Traité d'économie pure » (éd. Clément-Juglar, 1994), Maurice Allais aurait pu être reconnu, avec Hicks et Samuelson, comme le principal artisan de la deuxième révolution que nous avons identifiée. Malheureusement pour lui, le fait que ce livre ait été publié en français et à compte d'auteur au beau milieu de la guerre a empêché cette reconnaissance, qui n'est venue qu'en 1988, avec l'attribution du prix de la Banque de Suède en mémoire d'Alfred Nobel. Ce prix, selon Samuelson, récipiendaire de 1971, aurait dû lui être attribué beaucoup plus tôt. Maurice Allais n'en a pas moins exercé une influence importance, dès la fin de la guerre, sur des économistes français tels que Gérard Debreu, Edmond Malinvaud et Marcel Boiteux. Debreu émigrera aux États-Unis dont il obtiendra la nationalité et c'est en anglais qu'il publiera les oeuvres qui lui vaudront le prix de la Banque cinq ans avant Allais.

L'économie pure

Lorsqu'il commence la rédaction de « À la recherche d'une discipline économique », Allais est un autodidacte en économie. Il n'a commencé à lire les principaux auteurs qu'une année plus tôt. Parmi eux, c'est Léon Walras, Vilfredo Pareto et Irving Fisher qu'il revendique comme ses principaux inspirateurs. Il se fixe comme objectif de reconstruire la science économique sur des bases à la fois plus rigoureuses et plus réalistes en s'attaquant successivement à trois domaines qu'il appelle l'économie pure, l'économie appliquée et l'économie de demain.

Son premier livre développe le volet microéconomique de l'économie pure. Il retrouve ou anticipe plusieurs des propositions et des théorèmes mis en avant parles Hicks, Samuelson et d'autres, leur donnant parfois une formulation plus générale et rigoureuse. Il y démontre, en particulier, les théorèmes d'équivalence que Kenneth Arrow et Gérard  Debreu retrouveront en 1954 : « Toute situation d'équilibre d'une économie de marché est une situation d'efficacité maximale, et réciproquement toute situation d'efficacité maximale est une situation d'équilibre d'une économie de marché. » Le marché assure ainsi l'efficacité économique et une répartition optimale des revenus dans la société. Allais expose, en même temps que Samuelson, le processus de tâtonnement qui mène à l'équilibre des marchés.

En 1947, dans le second volet de son entreprise, « Économie et intérêt », Allais introduit le temps et la monnaie et s'attaque ainsi à la dynamique et à la croissance des économies capitalistes. Là encore, il formule plusieurs propositions dont la découverte sera attribuée à des contributions plus tardives. Il démontre ainsi, avant Trevor Swan et Edmund Phelps, la règle d'or de la croissance, selon laquelle un taux d'intérêt égal au taux de croissance permet de maximiser la consommation. Il développe le modèle à générations imbriquées[1] attribué à Samuelson. Il étudie la façon dont la demande d'encaisse de transaction réagit aux variations du taux d'intérêt avant William Baumol et James Tobin.

Quel qu'en soit le niveau d'abstraction et de formalisation, Allais considère que la théorie économique doit partir des faits, des données de l'observation. C'est ce qui l'amène à critiquer, de plus en plus durement, les dérives d'une discipline qui privilégie la virtuosité mathématique aux dépens du réalisme. Ce nouveau « totalitarisme scolastique » l’amène à s'éloigner, dans les années 60, de l’analyse de l'équilibre général développée par Walras et ses épigones et de la remplacer par une étude prenant pour objet les marchés réels, plutôt qu'un marché utopique, privilégiant l'étude du déséquilibre et fondée sur l'idée de surplus. La dynamique économique se caractérise ainsi par la recherche, la réalisation et la répartition d'un surplus. Il y a équilibre général lorsqu'il n'y a plus de surplus réalisable.

Intéressé par la théorie des choix et de la décision, Allais s'est attaqué, à l'occasion d'une conférence tenue à New York en 1953, au concept « d'utilité espérée » émergeant des travaux de John von Neumann. À cette occasion, il formule ce qu'on a appelé le « paradoxe d 'Allais », qui remet en question le modèle traditionnel de rationalité des choix. Il montre que, confronté à une loterie, un individu ne maximise pas ses gains espérés, mais vise plutôt la sécurité.

Allais est intervenu à plusieurs reprises, entre autres dans de nombreux articles de journaux, sur des questions de politique économique et sociale, se faisant l'apôtre de réformes économiques découlant de ses analyses. Plusieurs de ses élèves et de ses disciples ont joué un rôle important dans la mise en place du secteur public de l'économie française après la guerre.

Polémiste opiniâtre, Allais est un homme de contrastes et même de paradoxes. Reformulant en même temps que Milton Friedman la théorie quantitative de la monnaie, il est considéré par plusieurs comme monétariste et néolibéral. Il adhère d'ailleurs, dès sa fondation en 1947, à la Société du Mont-Pèlerin fondée par Friedrich Hayek pour défendre le libéralisme contre les menaces que font peser sur lui le socialisme et la social-démocratie. Il prône la flexibilité des salaires, l'allégement des contraintes sur le marché du travail et la réduction des indemnités de chômage pour assurer le plein-emploi. En même temps, il se réclame du libéralisme de Keynes et se déclare favorable à un secteur public important.

Ce partisan convaincu de l'unité européenne oppose au traité de Maastricht une Europe démocratique, humaniste et pacifique. Il s'attaque à ce qu'il appelle « la chienlit laisser fairiste du libre-échangisme mondialiste ». Il dédie son livre « La mondialisation » (1990) « aux innombrables victimes dans le monde entier de l'idéologie libre-échangiste mondialiste, idéologie aussi funeste qu'erronée et à tous ceux que n'aveugle pas quelque passion partisane ». On peut ainsi lui attribuer tour à tour les étiquettes d'altermondialiste, de conservateur, de libéral et d'interventionniste !

Le qualificatif de libéral hétérodoxe serait peut-être celui qui lui convient le mieux.

Auteur extraordinairement prolifique, Maurice Allais n'a pas limité ses recherches au domaine de l'économie, pure ou appliquée. Il est d'ailleurs convaincu du fait que l'économie doit être étroitement associée aux autres sciences humaines : psychologie, sociologie, science politique, histoire. Cette dernière discipline l'a toujours passionné et il s'est lancé, au début des années 60, dans la rédaction d'un livre intitulé « Essor et déclin des civilisations ». Cet ingénieur de formation est aussi l'auteur de plusieurs contributions à la physique théorique. Allais croit d'ailleurs que l'économie relève des mêmes méthodes que les sciences physiques et qu'on retrouve des régularités analogues dans les deux domaines.

Il manifeste en physique la même ambition qu'en économie, cherchant à unifier les théories de la gravité, de l'électromagnétisme et des quantas. Ses contributions à la physique théorique sont réunies depuis 1997 dans une série intitulée « Contributions de Maurice Allais à la physique théorique et expérimentale », qui doit comprendre douze volumes.            

Gilles Dostaler


« La rigueur de Maurice Allais, prix Nobel d’économie 1988 ».
Le Monde du 20 octobre 1988 par Jacques Lesourne, professeur au CNAM :

En attribuant au Français Maurice Allais le prix Nobel d'économie 1988, l'Académie suédoise a voulu consacrer ses  travaux de pionnier sur « la théorie des marchés et l’utilisation efficace des ressources ».

Maurice Allais prix Nobel d’économie ! Pendant des années, nombreux avaient été les économistes français à attendre cette nouvelle, puis, avec le temps, l'espoir s'était évanoui. Victime tardive de la seconde guerre mondiale, une guerre qui avait rendue confidentielle la diffusion de ses premiers ouvrages, Maurice Allais ne connaîtrait pas cette suprême consécration. Réjouissons-nous, il n'y a pas eu d'injustice.

Et le grand public français va pouvoir découvrir cet homme qui, sur trois plans bien différents, fait honneur à sa discipline. Par l'ampleur, la variété, la profondeur de ses contributions à la science économique. Maurice Allais apparaît tout d'abord à l'échelle mondiale comme l'un des grands théoriciens de sa génération. Par le nombre et la qualité de ses élèves, il peut ensuite être considéré comme le père de cette école d'économie mathématique française dont la vitalité ne s'est pas démentie depuis trente-cinq ans. Par la rigueur de son éthique professionnelle et son total dévouement à la science il constitue enfin une personnalité qui force l'estime.

De son œuvre scientifique, je retiendrai, avec naturellement quelque arbitraire, cinq contributions essentielles.

·      La première tient en un énorme livre paru en 1943 sous le titre « À la recherche d’une discipline économique »[2]. Un livre de solitaire, écrit aux sombres heures de l’Occupation et qui présente une admirable synthèse de la théorie microéconomique.

Cette théorie est alors très en avance par l'abondance de ses innovations et la rigueur de l'analyse sur les livres anglo-saxons de l'époque, qu'il s'agisse des choix individuels, des décisions de l'entreprise, de la formation des prix, des concepts d'équilibre général ou d'optimum. En écrivant ce livre, Maurice Allais s’est formé lui-même et a construit ce qui devait être pendant. des années le noyau de son enseignement.

·      Au lendemain de la guerre, toujours dans des conditions précaires, Maurice Allais publiait « Économie et intérêt ». Pour comprendre la portée de ce livre consacré à la théorie du capital, il faut se rappeler que la science économique d’alors faisait difficilement coïncider deux analyses du taux d'intérêt: l'une le représentait comme le prix qui égalisait l'offre d'épargne et la demande d’investissement, l'autre comme la valeur de la préférence pour la liquidité compte tenu de la quantité de monnaie en circulation. Maurice Allais approfondira les deux points de vue et en proposera une synthèse. Chemin faisant, il introduira la fonction qui donne la répartition du revenu national entre les différents stades de la production, un outil qui devait par la suite se révéler extrêmement fécond pour l’études des économies en croissance.

·      Au début des années 50, Maurice Allais devait contribuer à ouvrir un nouveau champ de recherche pour la science économique en abordant les choix des individus face au risque. Il devait organiser à ce sujet, en 1952, à Paris, un colloque qui est reste célèbre et au cours duquel une polémique l'opposa à d'autres économistes, comme ARROW et SAVAGE. Allais, montra, enquêtes à l’appui, que l’un des axiomes de comportement. qui paraissait « rationnel » et simplifiait la théorie était systématiquement violé par des personnes averties. D’où le nom de « paradoxe d’Allais » donné aux exemples particulièrement significatifs qu’il avait construits. Après avoir été quelque peu occulté pendant vingt ans, le débat resurgit depuis une décennie. Dans l'intervalle, Maurice ALLAIS n’a cessé de préciser sa pensé et, d’année en année, l'intérêt pour son analyse ne fait que croître. Aussi apparaît-il désormais dans ce domaine comme un précurseur.

Dans une autre direction, « Économie et intérêt » a été le point de départ de travaux extrêmement originaux sur la dynamique monétaire, et notamment sur les fluctuations économiques et les hyperinflations. Le nom de Maurice Allais est associé à la formulation « héréditaire, relativiste et logistique » de la théorie quantitative de la monnaie, une formulation qui fait intervenir le « taux d’oubli » et le « temps psychologique ».

·      Enfin, plus récemment (en 1981), après plus de dix ans de travail, Maurice Allais a présenté sa « Théorie générale des surplus » qui récuse entièrement la théorie de l'équilibre général et de l'optimum en s'affranchissant de nombreuses hypothèses restrictives. Bernard MUNIER a pu écrire : « Il s'agit bien d'une théorie générale des comportements dynamiques qu'Allais propose en remplacement du paradigme néoclassique reçu. » [3]

Un esprit libre

À certains lecteurs tout cela paraîtra sans doute fort abstrait. C'est oublier que la théorie, au bout de délais plus ou moins longs, modèle notre perception du monde et transforme notre approche du concret. Ainsi, les travaux de Maurice Allais ont profondément influencé le développement du calcul économique, la tarification des services publics, l'étude de la rentabilité des investissements, l'économie de l'assurance, pour ne citer que quelques exemples.

Par ailleurs, au-delà des travaux d'économétrie qui accompagnaient ses recherches théoriques, Maurice Allais ne s'est jamais désintéressé des problèmes économiques courants :

-       en publiant plusieurs études qui ont fait date. Je n'en mentionnerai que deux. L'une, en 1953, qui rappelait opportunément aux houillères nationalisées le bénéfice qui résulterait pour la collectivité française de l'élimination des mines, dont le coût d'extraction — correctement calculé — dépassait le prix de vente moyen. L'autre, en 1954, qui définissait la stratégie optimale de recherche minière au Sahara [4] ;

-       en écrivant de nombreux articles sur des sujets de politique économique. Des articles stimulants, provocants, parfois polémiques, toujours inspirés par ses réflexions théoriques, indépendants des modes, ne s'alignant sur aucune des idéologies couramment en vigueur. Trop déconnectés sans doute des réalités politiques instantanées pour avoir un impact immédiat sur l'opinion publique, mais qui exprimaient admirablement la vision originale, incisive, dérangeante d'un esprit libre sur les problèmes économiques de son temps.

Mais réduire Maurice Allais à ses écrits serait grandement mutiler son influence car ce solitaire a joué un rôle majeur dans la naissance, après 1945, d'une véritable école d'économie mathématique française. Seuls les plus âgés des économistes d’aujourd’hui peuvent se souvenir de ce qu'était l'état désastreux de la, discipline dans les premières années d'après-guerre. La France avait, en science économique, vingt ans de retard sur les pays anglo-saxons. L'inculture économique de la presse et des élites était proprement inimaginable et, dans les facultés de droit et de sciences économiques, seule émergeait avec courage une poignée de personnalités de valeur. Mais la foi dans l’avenir des jeunes générations rendait possibles toutes les audaces. Aussi, le séminaire de Maurice Allais joua-t-il le rôle d’un catalyseur. Pierre MASSÉ, Edmond MALINVAUD (un futur prix Nobel ?), Marcel BOITEUX et bien d’autres y participèrent régulièrement. Là se créèrent ou se renforcèrent des vocations. Là se formèrent ceux qui devaient à leur tour marquer la génération suivante. Fils ou petits-fils intellectuels de Maurice Allais dans une descendance qui n’implique pas l’adhésion à une doctrine mais la conversion à une approche méthodologique. Une approche, un quart de siècle plus tard, qui garde toute sa valeur, même lorsque l’on cherche à dépasser le paradigme de l’équilibre et à faire éclater le cadre actuel de la microéconomie.

L'enseignement de Maurice Allais à l'École des mines de Paris permettait d'enrichir en perma­nence le séminaire de nouveaux arrivants. Chaque année, cet enseignement sans concession et de haut niveau, qui rebutait la majorité des tièdes, mais attirait définitivement un noyau solide d'adhérents.

À travers ces descriptions, le lecteur commence sans doute à voir se dessiner la personnalité de Maurice Allais. Un chercheur imaginatif, courageux, tenace, capable de poursuivre des réflexions pendant des années sans dévier de sa route, doué à la fois d'un grand pouvoir d'analyse et d'une étonnante aptitude à la synthèse, ne laissant entrer de l'extérieur que les matériaux dont il fera sa pyramide. Un homme d'une grande rigueur, à l'honnêteté intellectuelle sans faille, entièrement dévoué à l'accomplissement de son œuvre. Un être sûr de sa valeur et incertain de sa destinée, émotif, hypersensible, plein de pudeur et de réserve, souvent mal à l'aise et parfois difficile dans les rapports humains, mais qui cache au fond de lui-même une immense capacité d'affection.

Sans doute ce polytechnicien, ingénieur des Mines, professeur d'économie à l'École des mines de Paris pendant la quasi-totalité de sa carrière, médaille d'or du CNRS, est-il aujourd'hui profondément heureux, lui qui a amorcé dans l'ombre son itinéraire intellectuel à l'heure de l'effondrement du pays et de ses élites, de voir aujourd'hui reconnue à l'échelle mondiale l'importance de son œuvre.

Jacques LESOURNE

 

Version pdf de cette page : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Presentation_Maurice_Allais.pdf



[1]    Modèle à générations imbriquées, modèle devant permettre d'interpréter les effets des politiques économiques en tenant compte de la structure démographique.

[2] Livre republié en 1952 par l’Imprimerie nationale comme traité d’économie pure.

[3] B. Munier, dans Marchés. capital et incertitude. Essais en l'honneur de Maurice Allais, sous la direction de M. Boiteux, Th. de Montbrial, B. Munier.

[4] Cette étude valut à Maurice Allais le prix Lanchester de recherche opérationnelle.

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