Présentation
de
Maurice ALLAIS
(né en France en 1911), NOBEL
1988
Il est né le 31 mai 1911 à Paris, ses parents sont de
petits commerçants. De 1931 à 1933, il fit ses études à l’École polytechnique,
sortant major de sa promotion. Il continua ses études à l’École nationale
supérieure des mines de Paris jusqu’en 1936. Après 1937, il travailla à
l’administration nationale française des mines. Il fut ingénieur des mines à
Nantes de 1937 à 1948, le bureau de documentation minière. En 1944, il fut
nommé professeur d’analyse économique à l’École nationale supérieure des mines
et en dirigea l’institut de recherche économique. En 1954, il fut en outre
nomme directeur de recherche au CNRS. À côté de ses activités de professeur,
Maurice Allais a effectué de nombreux travaux pour l’administration française.
Il a été le premier économiste à recevoir en 1978 la Médaille d’or du CNRS. En
1977, il a été nomme officier de la Légion d’honneur.
Mais c’est lors d’un voyage aux États-Unis
pendant la dépression, en 1933, et l'observation des troubles sociaux en France
après les élections de 1936, qui l'ont amené à se tourner vers l'économie, qui
doit « chercher à établir les
fondations sur lesquelles une politique économique et sociale pourrait être
valablement édifiée ». Il va appartenir à la tradition des
ingénieurs-économistes qui ont fortement influencé l'économie française,
surtout dans les années 60.
En 1988, le prix de la banque de
Suède en mémoire d’Alfred Nobel lui est décerné pour ses travaux théoriques sur les marchés et
l'allocation optimale des ressources.
Sa pensée. Convaincu qu’il est
possible de trouver dans l'économie les mêmes régularités que dans les sciences
physiques, il se propose de reconstruire la science économique moderne sur des
bases plus réalistes et plus rigoureuses. Il a tenté de construire un modèle
d'analyse global. Résolument libéral, disciple de Léon Walras et de Vilfredo
Pareto, il est connu pour sa reformulation de la théorie de l'équilibre général.
Pour lui, une situation d'efficacité maximale de l'économie se définit par une
situation d'équilibre du marché. Il a recours dans ce cadre à la notion
d'économie du bien-être, qui vient de Pareto, afin de montrer que les fins
éthiques ne sont pas antinomiques à la recherche d'efficacité.
En 1947, il
publie "Économie et intérêt" (réédité en 1998 par les éditions
Clément-Juglar) livre qui traite du problème de l'intérêt. Il n'y perd jamais
de vue les deux faces inséparables de l'intérêt : le montant qu'un prêteur
doit recevoir pour renoncer à la liquidité que lui procure la monnaie, le prix
que prennent en compte investisseurs et épargnants pour déterminer leur demande
et leur offre de capital. Et, à partir de cette base, il étudie les processus capitalistiques
de production, la théorie de l'optimum de Pareto, la théorie de l'optimum
capitalistique correspondant à la répartition optimale des facteurs de
production entre leur utilisation directe et leur utilisation indirecte.
Par ailleurs, il a montré que certaines
productions, en raison de très importants coûts fixes, connaissent des
rendements croissants. C’est le cas pour l’électricité car dans ce secteur,
quand les infrastructures ont été installées, le coût marginal décroît. Marcel
BOITEUX, président d’ÉDF préconisa une tarification au coût marginal.
Il considère
que la planification économique peut également être un élément
conduisant à une situation d'équilibre et d'efficacité maximale. De même, il
prend conscience dans les années 1966-1967, au regard de l'observation
empirique de l'économie, des limites de l'hypothèse de l'équilibre
général. Pour les dépasser, il a recours à la notion de surplus et est
d'ailleurs à l'origine de la théorie générale des surplus.
Ses idées, notamment sur la
croissance, ont souvent été reprises par d'autres. Ainsi, il a introduit la
« règle d'or », attribuée à Phelps, qui postule que le taux
d'intérêt réel le plus favorable est celui qui se rapproche le plus du taux de croissance.
Il a également démontré l'existence d'une situation de « maximum
maximorum », assurant l'existence d'un revenu réel maximum par habitant
pour un régime permanent de croissance. Dans son ouvrage « Économie et
intérêt », il a introduit la notion de prise en compte des générations
futures dans la détermination de l'optimum économique. Enfin, il a apporté sa
contribution à la théorie du risque en analysant le comportement des agents
économiques ayant à choisir entre différents risques. Un des exemples qu'il
utilise est resté célèbre sous le nom de « paradoxe d'Allais ». Il
montre que le choix rationnel n'est pas forcément celui qui offre la plus forte
probabilité de gain, car le choix tient compte des comportements des autres
agents économiques. Il est ainsi à l'origine d'un courant de recherche qui
a pour ambition de modéliser le choix rationnel en situation d'incertitude.
Il a aussi défendu l’idée que "l’indexation
générale de toutes les dettes en valeur réelle" est une condition de l’équité mais aussi
de l’efficacité. Ce n’est que si le prêteur est assuré de ne pas être spolié par
l’inflation et donc de retrouver la valeur réelle de son capital que les taux
d’intérêt seront faibles.
Maurice Allais pense, par
ailleurs, que l’exubérance des marchés financiers est due à une création
intempestive de monnaie tant de la part des autorités monétaires que des
banques commerciales et que sans une vigoureuse réforme du système
bancaire, la crise financière est certaine (1999). À la fin de sa vie, il
milite contre la mondialisation des échanges et il s’est opposé au traité
constitutionnel en 2005.
Le site de Maurice Allais : http://allais.maurice.free.fr
Curriculum Vitae : http://nobelprize.org/nobel_prizes/economics/laureates/1988/allais-cv.html
Ses écrits :
1943 : « À la
recherche d’une discipline économique, première partie : L’économie
pure », à compte d’auteur puis, en 1952, Imprimerie nationale, Éditions
subséquentes sous le titre « Traité d'économie pure »,. éd.
Clément-Juglar, 1994
1947 : « Économie
et intérêt », 2ème édition. En 1998, éd. Clément-Juglar
1953 : « Fondements d'une théorie positive des
choix comportant un risque et critique des postulats et axiomes de l'école
américaine », Économétrie, vol. 40., coll. des Colloques internationaux du
CNRS
1954 : « Les fondements comptables de la
macroéconomie », éd. PUF
1959 : « L’Europe unie : route de la
prospérité », éd. Calmann-Lévy
1960 : « Les aspects essentiels de la
politique de l’énergie », éd. Imprimerie nationale
1965 : « Reformulation de la théorie
quantitative de la monnaie », éd. Sedeis
1967 : « Les fondements du calcul économique »,
éd. École nationale supérieure des mines
1971 : « La libéralisation des relations
économiques internationales », éd. Gauthier-Villars
1976 : « L’impôt sur le capital et la réforme
monétaire », éd. Hermann
1978 : « La théorie générale des
surplus », Presses universitaires de Grenoble, 1989
1989 : « Les conditions monétaires d’une
économie de marché », éd. Montchrétien
1990 : « Pour
l’indexation » et « Pour la réforme de la fiscalité », éd.
Clément-Juglar
1991 : « L’Europe face à son avenir », éd.
Robert Laffont
1992 : « Erreurs et impasses de la
construction européenne », éd. Clément-Juglar
1994 : « Combats pour l’Europe :
1992-1994 », éd. Clément-Juglar
1999 : « La crise
mondiale d’aujourd’hui », éd. Clément-Juglar.
1999 : « La mondialisation : la
destruction des emplois et de la croissance », éd. Clément-Juglar
2001 : « Fondements de la dynamique
monétaire », éd. Clément-Juglar
2002 : « Nouveaux
combats pour l’Europe : 1995-2002 », éd. Clément-Juglar
2006 : « l’Europe
en crise, que faire ? », éd. Clément-Juglar
O O O O O
Le texte suivant est extrait d’un article
de Gilles Dostaler dans Alternatives Économiques
(n°252 de novembre 2006).
La pensée économique des
années 30 et 40 est marquée par trois transformations majeures. Il y a bien sûr
la révolution keynésienne, dont Keynes n'est du reste pas l'unique auteur. La
croyance dans la régulation automatique des marchés, assurant le plein-emploi
si aucun obstacle ne freine cette régulation, s'estompe et l'État-providence et
interventionniste se met en place. Une deuxième révolution, d'ordre en partie
méthodologique, est menée, entre autres, par John Hicks (Valeur et capital,
1939) et Paul Samuelson (« Les fondements de l’analyse économique »,
1947). Ces auteurs formalisent l'autorégulation des marchés que Keynes
remettait en question tout en reprenant certaines de ses de ses idées. C'est
ainsi que naît la synthèse néoclassique, qui dominera la pensée économique
pendant les trente premières années de l'après-guerre. En troisième lieu,
l'économie, dans laquelle la langue française avait déjà occupé une place
importante, devient une science essentiellement anglo-saxonne et états-unienne.
En rédigeant, entra janvier
1941 et juillet 1943, un ouvrage de près de mille pages qu'il intitule d'abord
« À la recherche d'une discipline économique, première partie: L'économie
pure », dont le titre sera changé dans les éditions ultérieures pour
« Traité d'économie pure » (éd. Clément-Juglar, 1994), Maurice Allais
aurait pu être reconnu, avec Hicks et Samuelson, comme le principal artisan de
la deuxième révolution que nous avons identifiée. Malheureusement pour lui, le
fait que ce livre ait été publié en français et à compte d'auteur au
beau milieu de la guerre a empêché cette reconnaissance, qui n'est venue qu'en
1988, avec l'attribution du prix de la Banque de Suède en mémoire d'Alfred
Nobel. Ce prix, selon Samuelson, récipiendaire de 1971, aurait dû lui être
attribué beaucoup plus tôt. Maurice Allais n'en a pas moins exercé une
influence importance, dès la fin de la guerre, sur des économistes français
tels que Gérard Debreu, Edmond Malinvaud et Marcel Boiteux. Debreu émigrera aux
États-Unis dont il obtiendra la nationalité et c'est en anglais qu'il publiera
les oeuvres qui lui vaudront le prix de la Banque cinq ans avant Allais.
L'économie pure
Lorsqu'il commence la
rédaction de « À la recherche d'une discipline économique », Allais
est un autodidacte en économie. Il n'a commencé à lire les principaux auteurs
qu'une année plus tôt. Parmi eux, c'est Léon Walras, Vilfredo Pareto et Irving
Fisher qu'il revendique comme ses principaux inspirateurs. Il se fixe comme
objectif de reconstruire la science économique sur des bases à la fois plus
rigoureuses et plus réalistes en s'attaquant successivement à trois domaines
qu'il appelle l'économie pure, l'économie appliquée et l'économie de demain.
Son premier livre développe le
volet microéconomique de l'économie pure. Il retrouve ou anticipe plusieurs des
propositions et des théorèmes mis en avant parles Hicks, Samuelson et d'autres,
leur donnant parfois une formulation plus générale et rigoureuse. Il y
démontre, en particulier, les théorèmes d'équivalence que Kenneth Arrow et
Gérard Debreu retrouveront en
1954 : « Toute situation d'équilibre d'une économie de marché est une
situation d'efficacité maximale, et réciproquement toute situation d'efficacité
maximale est une situation d'équilibre d'une économie de marché. » Le
marché assure ainsi l'efficacité économique et une répartition optimale des
revenus dans la société. Allais expose, en même temps que Samuelson, le
processus de tâtonnement qui mène à l'équilibre des marchés.
En 1947, dans le second volet
de son entreprise, « Économie et intérêt », Allais introduit le temps
et la monnaie et s'attaque ainsi à la dynamique et à la croissance des
économies capitalistes. Là encore, il formule plusieurs propositions dont la
découverte sera attribuée à des contributions plus tardives. Il démontre ainsi,
avant Trevor Swan et Edmund Phelps, la règle d'or de la croissance, selon
laquelle un taux d'intérêt égal au taux de croissance permet de maximiser la
consommation. Il développe le modèle à générations imbriquées[1]
attribué à Samuelson. Il étudie la façon dont la demande d'encaisse de
transaction réagit aux variations du taux d'intérêt avant William Baumol et
James Tobin.
Quel qu'en soit le niveau
d'abstraction et de formalisation, Allais considère que la théorie
économique doit partir des faits, des données de l'observation. C'est ce qui
l'amène à critiquer, de plus en plus durement, les dérives d'une discipline qui
privilégie la virtuosité mathématique aux dépens du réalisme. Ce nouveau
« totalitarisme scolastique » l’amène à s'éloigner, dans les années
60, de l’analyse de l'équilibre général développée par Walras et ses épigones
et de la remplacer par une étude prenant pour objet les marchés réels, plutôt
qu'un marché utopique, privilégiant l'étude du déséquilibre et fondée sur
l'idée de surplus. La dynamique économique se caractérise ainsi par la
recherche, la réalisation et la répartition d'un surplus. Il y a équilibre
général lorsqu'il n'y a plus de surplus réalisable.
Intéressé par la théorie des
choix et de la décision, Allais s'est attaqué, à l'occasion d'une conférence
tenue à New York en 1953, au concept « d'utilité espérée »
émergeant des travaux de John von Neumann. À cette occasion, il formule ce
qu'on a appelé le « paradoxe d 'Allais », qui remet en question le
modèle traditionnel de rationalité des choix. Il montre que, confronté à une
loterie, un individu ne maximise pas ses gains espérés, mais vise plutôt la
sécurité.
Allais est intervenu à
plusieurs reprises, entre autres dans de nombreux articles de journaux, sur des
questions de politique économique et sociale, se faisant l'apôtre de réformes
économiques découlant de ses analyses. Plusieurs de ses élèves et de ses
disciples ont joué un rôle important dans la mise en place du secteur public de
l'économie française après la guerre.
Polémiste opiniâtre, Allais
est un homme de contrastes et même de paradoxes. Reformulant en même temps
que Milton Friedman la théorie quantitative de la monnaie, il est considéré par
plusieurs comme monétariste et néolibéral. Il adhère d'ailleurs, dès sa fondation
en 1947, à la Société du Mont-Pèlerin fondée par Friedrich Hayek pour défendre
le libéralisme contre les menaces que font peser sur lui le socialisme et la
social-démocratie. Il prône la flexibilité des salaires, l'allégement des
contraintes sur le marché du travail et la réduction des indemnités de chômage
pour assurer le plein-emploi. En même temps, il se réclame du libéralisme de
Keynes et se déclare favorable à un secteur public important.
Ce partisan convaincu de
l'unité européenne oppose au traité de Maastricht une Europe démocratique,
humaniste et pacifique. Il s'attaque à ce qu'il appelle « la chienlit
laisser fairiste du libre-échangisme mondialiste ». Il dédie son livre
« La mondialisation » (1990) « aux innombrables victimes dans le
monde entier de l'idéologie libre-échangiste mondialiste, idéologie aussi
funeste qu'erronée et à tous ceux que n'aveugle pas quelque passion
partisane ». On peut ainsi lui attribuer tour à tour les étiquettes
d'altermondialiste, de conservateur, de libéral et d'interventionniste !
Le qualificatif de libéral hétérodoxe serait peut-être celui
qui lui convient le mieux.
Auteur extraordinairement
prolifique, Maurice Allais n'a pas limité ses recherches au domaine de
l'économie, pure ou appliquée. Il est d'ailleurs convaincu du fait que
l'économie doit être étroitement associée aux autres sciences humaines :
psychologie, sociologie, science politique, histoire. Cette dernière discipline
l'a toujours passionné et il s'est lancé, au début des années 60, dans la
rédaction d'un livre intitulé « Essor et déclin des civilisations ».
Cet ingénieur de formation est aussi l'auteur de plusieurs contributions à la
physique théorique. Allais croit d'ailleurs que l'économie relève des mêmes
méthodes que les sciences physiques et qu'on retrouve des régularités analogues
dans les deux domaines.
Il manifeste en physique la
même ambition qu'en économie, cherchant à unifier les théories de la gravité,
de l'électromagnétisme et des quantas. Ses contributions à la physique
théorique sont réunies depuis 1997 dans une série intitulée
« Contributions de Maurice Allais à la physique théorique et
expérimentale », qui doit comprendre douze volumes.
Gilles Dostaler
« La rigueur de Maurice Allais, prix Nobel d’économie 1988 ».
Le Monde du 20 octobre 1988 par Jacques
Lesourne, professeur au CNAM :
En attribuant au Français
Maurice Allais le prix Nobel d'économie 1988, l'Académie suédoise a voulu consacrer
ses travaux de pionnier sur « la
théorie des marchés et l’utilisation efficace des ressources ».
Maurice Allais prix Nobel d’économie ! Pendant des années,
nombreux avaient été les économistes français à attendre cette nouvelle, puis,
avec le temps, l'espoir s'était évanoui. Victime tardive de la seconde guerre mondiale,
une guerre qui avait rendue confidentielle la diffusion de ses premiers
ouvrages, Maurice Allais ne connaîtrait pas cette suprême consécration.
Réjouissons-nous, il n'y a pas eu d'injustice.
Et le grand public français va
pouvoir découvrir cet homme qui, sur trois plans bien différents, fait honneur
à sa discipline. Par l'ampleur, la variété, la profondeur de ses contributions
à la science économique. Maurice Allais apparaît tout d'abord à l'échelle
mondiale comme l'un des grands théoriciens de sa génération. Par le nombre et
la qualité de ses élèves, il peut ensuite être considéré comme le père de cette
école d'économie mathématique française dont la vitalité ne s'est pas démentie
depuis trente-cinq ans. Par la rigueur de son éthique professionnelle et son
total dévouement à la science il constitue enfin une personnalité qui force
l'estime.
De son œuvre scientifique, je
retiendrai, avec naturellement quelque arbitraire, cinq contributions
essentielles.
· La première tient en un énorme
livre paru en 1943 sous le titre « À la recherche d’une discipline
économique »[2].
Un livre de solitaire, écrit aux sombres heures de l’Occupation et qui présente
une admirable synthèse de la théorie microéconomique.
Cette théorie est alors très en avance
par l'abondance de ses innovations et la rigueur de l'analyse sur les livres
anglo-saxons de l'époque, qu'il s'agisse des choix individuels, des décisions
de l'entreprise, de la formation des prix, des concepts d'équilibre général ou
d'optimum. En écrivant ce livre, Maurice Allais s’est formé lui-même et a
construit ce qui devait être pendant. des années le noyau de son enseignement.
· Au lendemain de la guerre,
toujours dans des conditions précaires, Maurice Allais publiait « Économie
et intérêt ». Pour comprendre la portée de ce livre consacré à la
théorie du capital, il faut se rappeler que la science économique d’alors
faisait difficilement coïncider deux analyses du taux d'intérêt: l'une le
représentait comme le prix qui égalisait l'offre d'épargne et la demande
d’investissement, l'autre comme la valeur de la préférence pour la liquidité
compte tenu de la quantité de monnaie en circulation. Maurice Allais
approfondira les deux points de vue et en proposera une synthèse. Chemin
faisant, il introduira la fonction qui donne la répartition du revenu national
entre les différents stades de la production, un outil qui devait par la suite
se révéler extrêmement fécond pour l’études des économies en croissance.
· Au début des années 50,
Maurice Allais devait contribuer à ouvrir un nouveau champ de recherche pour la
science économique en abordant les choix des individus face au risque. Il devait organiser à ce sujet, en 1952, à Paris, un
colloque qui est reste célèbre et au cours duquel une polémique l'opposa à d'autres
économistes, comme ARROW et SAVAGE. Allais, montra, enquêtes à l’appui, que
l’un des axiomes de comportement. qui paraissait « rationnel » et
simplifiait la théorie était systématiquement violé par des personnes averties.
D’où le nom de « paradoxe d’Allais » donné aux exemples
particulièrement significatifs qu’il avait construits. Après avoir été
quelque peu occulté pendant vingt ans, le débat resurgit depuis une décennie.
Dans l'intervalle, Maurice ALLAIS n’a cessé de préciser sa pensé et, d’année en
année, l'intérêt pour son analyse ne fait que croître. Aussi apparaît-il
désormais dans ce domaine comme un précurseur.
Dans une autre direction,
« Économie et intérêt » a été le point de départ de travaux
extrêmement originaux sur la dynamique monétaire, et notamment sur les
fluctuations économiques et les hyperinflations. Le nom de Maurice
Allais est associé à la formulation « héréditaire, relativiste et
logistique » de la théorie quantitative de la monnaie, une formulation qui
fait intervenir le « taux d’oubli » et le « temps
psychologique ».
· Enfin, plus récemment (en 1981), après plus de dix ans de travail, Maurice
Allais a présenté sa « Théorie générale des surplus » qui
récuse entièrement la théorie de l'équilibre général et de l'optimum en s'affranchissant
de nombreuses hypothèses restrictives. Bernard MUNIER a pu écrire :
« Il s'agit bien d'une théorie générale des comportements dynamiques
qu'Allais propose en remplacement du paradigme néoclassique reçu. » [3]
Un esprit libre
À certains lecteurs tout cela
paraîtra sans doute fort abstrait. C'est oublier que la théorie, au bout de
délais plus ou moins longs, modèle notre perception du monde et transforme
notre approche du concret. Ainsi, les travaux de Maurice Allais ont
profondément influencé le développement du calcul économique, la
tarification des services publics, l'étude de la rentabilité des
investissements, l'économie de l'assurance, pour ne citer que quelques
exemples.
Par ailleurs, au-delà des travaux d'économétrie qui accompagnaient
ses recherches théoriques, Maurice Allais ne s'est jamais désintéressé des
problèmes économiques courants :
-
en publiant plusieurs études qui ont fait date. Je n'en
mentionnerai que deux. L'une, en 1953, qui rappelait opportunément aux
houillères nationalisées le bénéfice qui résulterait pour la collectivité
française de l'élimination des mines, dont le coût d'extraction
— correctement calculé — dépassait le prix de vente moyen. L'autre,
en 1954, qui définissait la stratégie optimale de recherche minière au Sahara [4] ;
-
en écrivant de nombreux articles sur des sujets de politique
économique. Des articles stimulants, provocants, parfois polémiques,
toujours inspirés par ses réflexions théoriques, indépendants des modes, ne s'alignant
sur aucune des idéologies couramment en vigueur. Trop déconnectés sans
doute des réalités politiques instantanées pour avoir un impact immédiat sur
l'opinion publique, mais qui exprimaient admirablement la vision originale,
incisive, dérangeante d'un esprit libre sur les problèmes économiques de son
temps.
Mais réduire Maurice Allais à ses
écrits serait grandement mutiler son influence car ce solitaire a joué un rôle
majeur dans la naissance, après 1945, d'une véritable école d'économie
mathématique française. Seuls les plus âgés des économistes d’aujourd’hui
peuvent se souvenir de ce qu'était l'état désastreux de la, discipline dans les
premières années d'après-guerre. La France avait, en science économique, vingt
ans de retard sur les pays anglo-saxons. L'inculture
économique de la presse et des élites était proprement inimaginable et, dans
les facultés de droit et de sciences économiques, seule émergeait avec courage
une poignée de personnalités de valeur. Mais la foi dans l’avenir des
jeunes générations rendait possibles toutes les audaces. Aussi, le séminaire de
Maurice Allais joua-t-il le rôle d’un catalyseur. Pierre MASSÉ, Edmond
MALINVAUD (un futur prix Nobel ?), Marcel BOITEUX et bien d’autres y
participèrent régulièrement. Là se créèrent ou se renforcèrent des vocations.
Là se formèrent ceux qui devaient à leur tour marquer la génération suivante.
Fils ou petits-fils intellectuels de Maurice Allais dans une descendance qui
n’implique pas l’adhésion à une doctrine mais la conversion à une approche
méthodologique. Une approche, un quart de siècle plus tard, qui garde toute
sa valeur, même lorsque l’on cherche à dépasser le paradigme de l’équilibre et
à faire éclater le cadre actuel de la microéconomie.
L'enseignement de Maurice Allais à l'École des mines de Paris
permettait d'enrichir en permanence le séminaire de nouveaux arrivants. Chaque
année, cet enseignement sans concession et de haut niveau, qui rebutait la
majorité des tièdes, mais attirait définitivement un noyau solide d'adhérents.
À travers ces descriptions, le lecteur commence sans doute à voir
se dessiner la personnalité de Maurice Allais. Un chercheur imaginatif,
courageux, tenace, capable de poursuivre des réflexions pendant des années sans
dévier de sa route, doué à la fois d'un grand pouvoir d'analyse et d'une
étonnante aptitude à la synthèse, ne laissant entrer de l'extérieur que les
matériaux dont il fera sa pyramide. Un homme d'une grande rigueur, à
l'honnêteté intellectuelle sans faille, entièrement dévoué à l'accomplissement
de son œuvre. Un être sûr de sa valeur et incertain de sa destinée, émotif,
hypersensible, plein de pudeur et de réserve, souvent mal à l'aise et parfois
difficile dans les rapports humains, mais qui cache au fond de lui-même une
immense capacité d'affection.
Sans doute ce polytechnicien, ingénieur des Mines, professeur
d'économie à l'École des mines de Paris pendant la quasi-totalité de sa
carrière, médaille d'or du CNRS, est-il aujourd'hui profondément heureux, lui
qui a amorcé dans l'ombre son itinéraire intellectuel à l'heure de
l'effondrement du pays et de ses élites, de voir aujourd'hui reconnue à
l'échelle mondiale l'importance de son œuvre.
Jacques LESOURNE
Version pdf de cette page : http://etienne.chouard.free.fr/Europe/Presentation_Maurice_Allais.pdf
[1] Modèle à générations imbriquées, modèle devant permettre
d'interpréter les effets des politiques économiques en tenant compte de la
structure démographique.
[2] Livre republié en 1952 par l’Imprimerie nationale comme traité d’économie pure.
[3] B. Munier, dans Marchés. capital et incertitude. Essais
en l'honneur de Maurice Allais, sous la direction de M. Boiteux, Th. de
Montbrial, B. Munier.
[4] Cette étude valut à Maurice Allais le prix Lanchester
de recherche opérationnelle.